Ecrire et réécrire
Ecrire
A partir du moment où il choisit de mettre en mots l’univers qui l’entoure ou qu’il imagine, l’écrivain fait de son œuvre le lieu d’une réécriture du monde. Ecrire c’est donc réécrire le monde en le transformant, comme c’est le cas par exemple pour le mythe et la légende (L’Odyssée), ou l’épopée (L’Iliade). En fait, toutes les formes d’art participent de ces procédés de déformation et de transformation qui, comme l’écriture, s’approprient le monde pour en donner une interprétation.
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Réécrire
Quand il s’agit de réécrire son propre texte, cela signifie le reprendre afin de l’améliorer, se remettre au travail pour atteindre une certaine perfection qui satisfasse l’auteur. Cela peut aussi consister à traiter un même sujet d’une manière différente. Cette réécriture de soi, ou autotextualité est une part importante du travail de l’écrivain.
Dans son œuvre Exercices de style Raymond Queneau écrit 99 fois la même histoire avec des versions différentes (cf. document 2).
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Réécrire les autres
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Mais la réécriture désigne surtout le fait de reprendre le texte d’un autre pour en donner sa propre version, tel Jean de La Fontaine reprenant l’épisode de la magicienne Circé de l’Odyssée d’Homère (IXème siècle avant J.C) pour en faire une fable sous le titre Les compagnons d’Ulysse (1694). Réécrire, c’est alors s’approprier un héritage culturel et littéraire et lui donner un sens nouveau.
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Les formes de la réécriture
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a) La citation
Il s’agit de la forme la plus directe de réécriture : un auteur cite un autre auteur en précisant sa source. Guillemets et italiques permettent d’avertir le lecteur de la présence d’un texte étranger. Comme le dit Joachim Du Bellay : « Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage.»
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b) Le collage
Cela consiste à reprendre l’intégralité d’un texte sans en indiquer la source et sans préciser qu’il s’agit d’une citation. Par exemple : « Je dirais que les voyages forment la jeunesse et qu’il est heureux celui qui, comme Ulysse, a fait un long voyage !»
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c) Le plagiat
C’est un délit puni par la loi. Le plagiaire est une personne qui reprend le texte d’un autre en le faisant passer pour sa propre création.
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d) L’allusion
Cela consiste à faire référence à un texte de manière indirecte, ce qui oblige le lecteur à utiliser sa mémoire et sa culture pour comprendre le message de l’auteur. L’œuvre de James Joyce Ulysse, évoque les déambulations du héros Léopold Bloom dans la ville de Dublin, dont chaque étape correspond en fait à un épisode de l’Odyssée.
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e) Le pastiche
Il s’agit là d’une réécriture « à la manière de ». L’auteur imite le style particulier d’un auteur de son choix en essayant de « coller » au plus près à l’écriture initiale.
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f) La parodie
Elle consiste à reprendre une œuvre célèbre, à modifier son genre, son registre ou les valeurs qu’elle défend dans une intention comique ou satirique.
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g) La continuation
C’est un texte qui prétend donner une suite à un récit ou à en raconter un épisode manquant.
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h) Le résumé
Cette forme de réécriture propose une version réduite d’un texte dont les modifications peuvent en modifier le sens, comme le note le narrateur du roman d’Alberto Moravia Le Mépris.
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i) L’adaptation
C’est une réécriture dans un autre art (cinéma, peinture, peinture, etc).
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j) La traduction
Le passage d’une langue à l’autre constitue une réécriture en soi puisque, d’un même texte original, des personnalités différentes établiront des traductions différentes.
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Documents d’étude
Document 1
Document 2
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Du style injurieux …
Après une attente infecte sous un soleil ignoble, je finis par monter dans un autobus immonde où se serrait une bande de cons. Le plus con d’entre ces cons était un boutonneux au sifflet démesuré qui exhibait un galurin grotesque avec un cordonnet au lieu de ruban. Ce prétentiard se mit à râler parce qu’un vieux con lui piétinait les panards avec une fureur sénile ; mail il ne tarda pas à se dégonfler et se débina dans la direction d’une place vide encore humide de la sueur des fesses du précédent occupant.
Deux heures plus tard, pas de chance, je retombe sur le même con en train de pérorer avec un autre con devant ce monument dégueulasse qu’on appelle la gare Saint-Lazare. Ils bavardochaient à propos d’un bouton. Je me dis : qu’il le fasse monter ou descendre son furoncle, il sera toujours aussi moche, ce sale con.
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… au style gastronomique
Après une attente gratinée sous un soleil au beurre noir, je finis par monter dans un autobus pistache où grouillaient les clients comme asticots dans un fromage trop fait. Parmi ce tas de nouilles, je remarquai une grande allumette avec un cou long comme un jour sans pain et une galette sur la tête qu’entourait une sorte de fil à couper le beurre. Ce veau se mit à bouillir parce qu’une sorte de croquant (qui en fut baba) lui assaisonnait les pieds poulette. Mais il cessa rapidement de discuter le bout de gras pour se couler dans un moule devenu libre. J’étais en train de digérer dans l’autobus de retour lorsque devant le buffet de la gare Saint-Lazare, je revis mon type tarte avec un croûton qui lui donnait des conseils à la flan à propos de la façon dont il était dressé. L’autre en était chocolat.
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Raymond Queneau, Exercices de style, 1947.
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QUESTIONS
1) Dans quelle mesure ce brouillon de Flaubert est-il un exemple intéressant de réécriture ?
2) Quels sont les points communs et les différences entre ces deux versions d’un même épisode relaté par Raymond Queneau ?
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Document 3
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LA CIGALE ET LA FOURMI
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La Cigale, ayant chanté
Tout l’été,
Se trouva fort dépourvue
Quand la bise fut venue.
Pas un seul petit morceau
De mouche ou de vermisseau.
Elle alla crier famine
Chez la Fourmi sa voisine,
La priant de lui prêter
Quelque grain pour subsister
Jusqu’à la saison nouvelle.
Je vous paierai, lui dit-elle,
Avant l’Oût, foi d’animal,
Intérêt et principal.
La Fourmi n’est pas prêteuse ;
C’est là son moindre défaut.
» Que faisiez-vous au temps chaud ?
Dit-elle à cette emprunteuse.
– Nuit et jour à tout venant
Je chantais, ne vous déplaise.
– Vous chantiez ? J’en suis fort aise.
Eh bien ! dansez maintenant. »
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Jean de La Fontaine, 1668
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LA FOURMI ET LA CIGALE
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La Fourmi, ayant stocké
Tout l’hiver
Se trouva fort encombrée
Quand le soleil fut venu :
Qui lui prendrait ces morceaux
De mouches ou de vermisseaux ?
Elle tenta de démarcher
Chez la Cigale sa voisine,
La poussant à s’acheter
Quelque grain pour subsister
Jusqu’à la saison prochaine.
» Vous me paierez, lui dit-elle,
Après l’oût, foi d’animal,
Intérêt et principal. »
La Cigale n’est pas gourmande :
C’est là son moindre défaut.
» Que faisiez-vous au temps froid ?
Dit-elle à cette amasseuse.
– Nuit et jour à tout venant
Je stockais, ne vous déplaise.
– Vous stockiez ? j’en suis fort aise ;
Eh bien ! soldez maintenant. »
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Françoise Sagan, version contemporaine
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QUESTIONS
1) En quoi consiste le détournement opéré par Françoise Sagan dans sa fable La Fourmi et la Cigale ?
2) Recherchez un autre exemple de fable parodiée.
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Document 4 : UN EXEMPLE DE PASTICHE
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Sonnet XI
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Ô doux regards, ô yeux pleins de beauté,
petits jardins pleins de fleurs amoureuses
où sont les flèches dangereuses d’Amour,
mon oeil est tellement arrêté à vous regarder !
Ô coeur félon, ô dure cruauté,
tu m’emprisonnes si durement,
j’ai tant pleuré de larmes tristes,
en ressentant la brûlure de mon coeur torturé.
Donc, mes yeux, vous avez tant de plaisir,
vous recevez tant de bonheur par ces yeux ;
mais toi, mon coeur, plus tu les vois s’y complaire,plus tu languis, plus tu as de chagrin.
Devinez donc si je me sens bien moi aussi,
quand je sens que mon oeil s’oppose à mon coeur.
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Louise Labé, 1555
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NYX
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Ô vous mes nuits, ô noires attendues
Ô pays fier, ô secrets obstinés
Ô longs regards, ô foudroyantes nues
Ô vol permis outre les cieux fermés.
Ô grand désir, ô surprise épandue
Ô beau parcours de l’esprit enchanté
Ô pire mal, ô grâce descendue
Ô porte ouverte où nul n’avait passé
Je ne sais pas pourquoi je meurs et noie
Avant d’entrer à l’éternel séjour.
Je ne sais pas de qui je suis la proie.
Je ne sais pas de qui je suis l’amour.
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Catherine Pozzi, 1934
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QUESTIONS
1) Après avoir lu les deux poèmes, dites quels sont les éléments du sonnet qui sont repris dans le poème de Catherine Pozzi (rythme, vers, images, figures de style).
2) Recherchez un autre exemple de poème pastiché.
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