Etude d’une nouvelle d’Emile Zola, Naïs Micoulin
« Chez moi, tout crime – le meurtre principalement- a des correspondances secrètes avec l’amour »
Octave Mirbeau (1849-1917), Le journal d’une femme de chambre
Dans le cadre d’une séquence consacrée au roman et à la nouvelle, nous vous proposons de découvrir un récit peu connu d’Emile Zola qui s’intitule Naïs Micoulin. L’étude de cette œuvre vous permettra de revoir, ou de découvrir, des notions propres au récit, elles sont signalées par la couleur ocre dans le corps du texte. A ce titre des termes tels que incipit, portrait, description, (j’en passe et des meilleurs…) n’auront plus aucun secret pour vous ! Alors n’hésitons plus et suivons ensemble la terrible histoire d’une jeune fille du Midi… L’histoire d’une vie.
I) Présentation de l’œuvre
Naïs Micoulin est une nouvelle d’Emile Zola publiée en 1884. Le cadre de l’intrigue est celui de la région de L’Estaque, au nord-ouest de Marseille, où Zola est venu plusieurs fois se reposer (1870, 1877,1886). Cette nouvelle met en scène la belle Naïs, l’héroïne éponyme (1), fille de la terre et de la mer, amoureuse du beau Frédéric, le fils de propriétaires d’un domaine pour lesquels travaille le terrible père Micoulin, tyrannique et violent. Face aux obstacles qui se dresseront sur le chemin de son amour, Naïs devra prendre des décisions qui engageront sa vie tout entière. L’intrigue inspirera l’écrivain et cinéaste Marcel Pagnol qui en fera un film, Naïs, en 1945.
(1) Qui donne son nom à l’œuvre
II) Un cadre provençal qui a influencé de nombreux artistes
Hormis Zola, les paysages naturels et industriels de L’Estaque ont été une source d’inspiration pour de grands artistes français qui y séjournèrent entre 1870 et 1914, tels les peintres Paul Cézanne, Georges Braque (1906 à 1910), André Derain (1905), Raoul Dufy (1903), Auguste Renoir qui déclara le paysage de L’Estaque « le plus beau du monde ». Les œuvres impressionnistes de Cézanne, premier de ces peintres à fréquenter L’Estaque eurent une forte influence sur ses amis et les artistes contemporains, et c’est sur les mêmes paysages que s’exercèrent plus tard l’influence du fauvisme et les premiers tableaux du cubisme.
L’incipit de la nouvelle : analyse
1) Définition
Le terme »incipit » vient du verbe latin incipire = commencer. L’incipit sert à désigner le début d’un roman.
On peut dégager plusieurs fonctions :
Fonction n°1 : il a une valeur d’annonce et programme la suite du texte. En effet, il définit le genre du roman (roman épistolaire, roman réaliste…) et les choix de narration (point de vue, vocabulaire, registre de langue…) de l’auteur.
Fonction n°2 : il doit accrocher et séduire le lecteur. L’attention et la curiosité du lecteur doit être stimulée par l’imprévisibilité du récit, l’adresse directe au lecteur, la confrontation de celui-ci à une énigme ou l’entrée d’emblée dans l’intrigue.
Fonction n°3 : il crée un monde fictif en donnant des informations sur les personnages, le lieu, le temps. Des descriptions intégrées à la narration permettent de répondre aux différentes questions : Où? Quand? Qui? Quoi? Comment? Pourquoi?
Fonction n°4 : il permet au lecteur de rentrer dans l’histoire en présentant un événement important, ou une scène secondaire qui va éclairer certains aspects de l’intrigue etc.
Extrait 1
À la saison des fruits, une petite fille, brune de peau, avec des cheveux noirs embroussaillés, se présentait chaque mois chez un avoué (1) d’Aix, M. Rostand, tenant une énorme corbeille d’abricots ou de pêches, qu’elle avait peine à porter. Elle restait dans le large vestibule (2), et toute la famille, prévenue, descendait. « Ah ! c’est toi, Naïs, disait l’avoué. Tu nous apportes la récolte. Allons, tu es une brave fille… Et le père Micoulin, comment va-t-il ? – Bien, Monsieur », répondait la petite en montrant ses dents blanches. Alors, Mme Rostand la faisait entrer à la cuisine, où elle la questionnait sur les oliviers, les amandiers, les vignes. La grande affaire était de savoir s’il avait plu à L’Estaque (3), le coin du littoral où les Rostand possédaient leur propriété, la Blancarde, que les Micoulin cultivaient. Il n’y avait là que quelques douzaines d’amandiers et d’oliviers, mais la question de la pluie n’en restait pas moins capitale, dans ce pays qui meurt de sécheresse. « Il a tombé des gouttes, disait Naïs. Le raisin aurait besoin d’eau. » Puis, lorsqu’elle avait donné les nouvelles, elle mangeait un morceau de pain avec un reste de viande, et elle repartait pour L’Estaque, dans la carriole (4) d’un boucher, qui venait à Aix tous les quinze jours. Souvent, elle apportait des coquillages, une langouste, un beau poisson, le père Micoulin pêchant plus encore qu’il ne labourait. Quand elle arrivait pendant les vacances, Frédéric, le fils de l’avoué, descendait d’un bond dans la cuisine pour lui annoncer que la famille allait bientôt s’installer à la Blancarde, en lui recommandant de tenir prêts ses filets et ses lignes. Il la tutoyait, car il avait joué avec elle tout petit. Depuis l’âge de douze ans seulement, elle l’appelait « M. Frédéric », par respect. Chaque fois que le père Micoulin l’entendait dire « tu » au fils de ses maîtres, il la souffletait (5). Mais cela n’empêchait pas que les deux enfants fussent très bons amis. « Et n’oublie pas de raccommoder les filets, répétait le collégien. – N’ayez pas peur, monsieur Frédéric, répondait Naïs. Vous pouvez venir. » M. Rostand était fort riche. Il avait acheté à vil prix (6) un hôtel superbe, rue du Collège. L’hôtel de Coiron, bâti dans les dernières années du dix-septième siècle, développait une façade de douze fenêtres, et contenait assez de pièces pour loger une communauté. Au milieu de ces appartements immenses, la famille composée de cinq personnes, en comptant les deux vieilles domestiques, semblait perdue. L’avoué occupait seulement le premier étage. Pendant dix ans, il avait affiché le rez-de-chaussée et le second, sans trouver de locataires. Alors, il s’était décidé à fermer les portes, à abandonner les deux tiers de l’hôtel aux araignées. L’hôtel, vide et sonore, avait des échos de cathédrale au moindre bruit qui se produisait dans le vestibule, un énorme vestibule avec une cage d’escalier monumentale, où l’on aurait aisément construit une maison moderne.
(1) un avoué : défenseur chargé de représenter des plaideurs devant la justice
(2) un vestibule : pièce d’entrée d’une maison
(3) L’Estaque : hameau isolé de pêcheurs et de fabricants de tuiles au Nord-Ouest de Marseille
(4) la carriole : charrette à deux roues
(5) souffleter : gifler
(6) vil prix : prix très bas
Question
Quels sont les renseignements que cet incipit fournit aux lecteurs afin que ceux-ci puissent « entrer » dans l’œuvre ? (personnages, lieux, temps etc…) ?
Extrait 2 Portraits de famille
L’avoué était pourtant un homme fort adroit. Son père lui avait laissé une des meilleures études d’Aix, et il trouvait moyen d’augmenter sa clientèle par une activité rare dans ce pays de paresse. Petit, remuant, avec un fin visage de fouine, il s’occupait passionnément de son étude. Le soin de sa fortune le tenait d’ailleurs tout entier, il ne jetait même pas les yeux sur un journal, pendant les rares heures de flânerie qu’il 10 tuait au cercle. Sa femme, au contraire, passait pour une des femmes intelligentes et distinguées de la ville. Elle était née de Villebonne, ce qui lui laissait une auréole de dignité, malgré sa mésalliance. Mais elle montrait un rigorisme si outré, elle pratiquait ses devoirs religieux avec tant d’obstination étroite, qu’elle avait comme séché dans l’existence méthodique qu’elle menait. Quant à Frédéric, il grandissait entre ce père si affairé et cette mère si rigide. Pendant ses années de collège, il fut un cancre de la belle espèce, tremblant devant sa mère, mais ayant tant de répugnance pour le travail, que, dans le salon, le soir, il lui arrivait de rester des heures le nez sur ses livres, sans lire une ligne, l’esprit perdu, tandis que ses parents s’imaginaient, à le voir, qu’il étudiait ses leçons. Irrités de sa paresse, ils le mirent pensionnaire au collège ; et il ne travailla pas davantage, moins surveillé qu’à la maison, enchanté de ne plus sentir toujours peser sur lui des yeux sévères. Aussi, alarmés des allures émancipées qu’il prenait, finirent-ils par le retirer, afin de l’avoir de nouveau sous leur 11 férule. Il termina sa seconde et sa rhétorique, gardé de si près, qu’il dut enfin travailler : sa mère examinait ses cahiers, le forçait à répéter ses leçons, se tenait derrière lui à toute heure, comme un gendarme. Grâce à cette surveillance, Frédéric ne fut refusé que deux fois aux examens du baccalauréat.
Les fonctions du portrait dans le roman et la nouvelle
Il sert à définir les personnages selon trois critères fondamentaux :
1) Critères physiques: traits du visage, allure, pose du corps.
2) Critères psychologiques, moraux: sentiments, caractère, pensées des héros.
3) Critères sociaux: appartenance à un milieu défini, vêtements, habitat, langage, métier, fréquentations, idéologies.
Questions
1) Quels sont les termes que vous ne comprenez pas ? Cherchez leur définition.
2) Brossez les portraits du père, de la mère et du fils. Qu’en concluez-vous ?
Extrait 3 Le coup de foudre
Et Naïs souriait, en montrant ses dents blanches. Le plus souvent, Frédéric n’était pas là. Mais, un jour, la dernière année de son droit, il sortait, lorsqu’il trouva Naïs debout dans le vestibule, avec sa corbeille. Il s’arrêta net d’étonnement. Il ne reconnaissait pas la longue fille mince et déhanchée qu’il avait vue, l’autre saison, à la Blancarde. Naïs était superbe, avec sa tête brune, sous le casque sombre de ses épais cheveux noirs ; et elle avait des épaules fortes, une taille ronde, des bras magnifiques dont elle montrait les poignets nus. En une année, elle venait de pousser comme un jeune arbre. « C’est toi ! dit-il d’une voix balbutiante. – Mais oui, monsieur Frédéric, répondit-elle en le regardant en face, de ses grands yeux où brûlait un feu sombre. J’apporte des oursins… Quand arrivez-vous ? Faut-il préparer les filets ? » Il la contemplait toujours, il murmura, sans paraître avoir entendu : « Tu es bien belle, Naïs !… Qu’est-ce que tu as donc ? » Ce compliment la fit rire. Puis, comme il lui prenait les mains, ayant l’air de jouer, ainsi qu’ils jouaient ensemble autrefois, elle devint sérieuse, elle le tutoya brusquement, en lui disant tout bas, d’une voix un peu rauque : « Non, non, pas ici… Prends garde ! voici ta mère. »
Questions
1) Qu’est-ce qui fait que Frédéric tombe amoureux de Naïs ?
2) Repérez les expressions qui illustrent son coup de foudre.
3) Comment comprenez-vous le passage du vouvoiement au tutoiement quand Naïs s’adresse à Frédéric ?
Extrait 4 Zola et Cézanne : deux vues de L’Estaque
Le pays est superbe. Des deux côtés du golfe, des bras de rochers s’avancent, tandis que les îles, au large, semblent barrer l’horizon ; et la mer n’est plus qu’un vaste bassin, un lac d’un bleu intense par les beaux temps. Au pied des montagnes, au fond, Marseille étage ses maisons sur des collines basses ; quand l’air est limpide, on aperçoit, de L’Estaque, la jetée grise de la Joliette, avec les fines mâtures des vaisseaux, dans le port ; puis, derrière, des façades se montrent au milieu de massifs d’arbres, la chapelle de Notre-Dame-de-la-Garde blanchit sur une hauteur, en plein ciel. Et la côte part de Marseille, s’arrondit, se creuse en larges échancrures avant d’arriver à L’Estaque, bordée d’usines qui lâchent, par moments, de hauts panaches de fumée. Lorsque le soleil tombe d’aplomb, la mer, presque noire, est comme endormie entre les deux promontoires de rochers, dont la blancheur se chauffe de jaune et de brun. Les pins tachent de vert sombre les terres rougeâtres. C’est un vaste tableau, un coin entrevu de l’Orient, s’enlevant dans la vibration aveuglante du jour. Mais L’Estaque n’a pas seulement cette échappée sur la mer. Le village, adossé aux montagnes, est traversé par des routes qui vont se perdre au milieu d’un chaos de roches foudroyées.
Naîs Micoulin. Emile Zola. (extrait)
Paul Cézanne, Le golfe de Marseille vu de L’Estaque. 1895.
« J’ai ici de beaux points de vue, mais ça ne fait pas tout à fait motif. Néanmoins, au soleil couchant en montant sur les hauteurs, on a le beau panorama du fond de Marseille et les îles, le tout enveloppé sur le soir d’un effet très décoratif. »
La description dans le récit
La description joue souvent un rôle dans le développement de l’histoire ; on dit qu’elle a une fonction narrative. Ainsi elle permet, entre autres, de présenter le cadre de l’action en en faisant découvrir le lieu, l’époque et les personnages.
Elle permet de saisir la personnalité des personnages et d’avoir une vision d’ensemble des objets qui les entourent et des lieux dans lesquels ils évoluent. Ces descriptions sont particulièrement utilisées dans les romans réalistes et naturalistes, dans lesquels l’auteur cherche à reproduire la réalité afin de créer l’illusion du réel.
Questions
1) Relevez dans le texte de Zola les indices géographiques qui permettent de situer des éléments du paysage peints par Paul Cézanne.
2) Cézanne écrit que le paysage « ne fait pas tout à fait le motif », ce qui signifie que le sujet ne lui semble pas intéressant au premier coup d’œil. D’après lui, quels sont le lieu et le moment les plus favorables pour admirer le paysage ?
3) Dans le texte de Zola, relevez les indices spatiaux qui permettent à l’auteur d’organiser sa description et au lecteur d’imaginer le paysage.
4) Comme dans un tableau, l’organisation de cette description suit des lignes de force (1). Quelles sont-elles ?
(1) On appelle ligne de force en dessin les lignes que l’œil repère immédiatement sans analyser l’image.
a) Les horizontales : un mur, un chemin, une séparation peuvent suggérer l’immobilité, le calme, approfondir l’image en traçant l’horizon.
b) Les verticales : elles sont esquissées par un arbre, un personnage debout, un poteau, l’arête d’un mur. Elles suggèrent la hauteur, elles ralentissent le regard.
c) Les courbes : elles introduisent un effet de douceur, de calme, et créent, associées à des droites, une impression d’harmonie.
Extrait 4 La Provence, la nuit
Ce fut au travers de cette contrée de flammes que Naïs et Frédéric s’aimèrent pendant un mois. Il semblait que tout ce feu du ciel était passé dans leur sang. Les huit premiers jours, ils se contentèrent de se retrouver la nuit, sous le même olivier, au bord de la falaise. Ils y goûtaient des joies exquises. La nuit fraîche calmait leur fièvre, ils tendaient parfois leurs visages et leurs mains brûlantes aux haleines qui passaient, pour les rafraîchir comme dans une source froide. La mer, à leurs pieds, au bas des roches, avait une plainte voluptueuse et lente. Une odeur pénétrante d’herbes marines les grisait de désirs. Puis, aux bras l’un de l’autre, las d’une fatigue heureuse, ils regardaient, de l’autre côté des eaux, le flamboiement nocturne de Marseille, les feux rouges de l’entrée du port jetant dans la mer des reflets sanglants, les étincelles du gaz dessinant, à droite et à gauche, les courbes allongées des faubourgs ; au milieu, sur la ville, c’était un pétillement de lueurs vives, tandis que le jardin de la colline Bonaparte était nettement indiqué par deux rampes de clartés, qui tournaient au bord du ciel. Toutes ces lumières, au-delà du golfe endormi, semblaient éclairer quelque ville du rêve, que l’aurore devait emporter. Et le ciel, élargi au-dessus du chaos noir de l’horizon, était pour eux un grand charme, un charme qui les inquiétait et les faisait se serrer davantage. Une pluie d’étoiles tombait. Les constellations, dans ces nuits claires de la Provence, avaient des flammes vivantes. Frémissant sous ces vastes espaces, ils baissaient la tête, ils ne s’intéressaient plus qu’à l’étoile solitaire du phare de Planier, dont la lueur dansante les attendrissait, pendant que leurs lèvres se cherchaient encore.
Questions
1) Quels sont les sens mis en éveil dans ce passage ? Justifiez votre réponse.
2) Quel champ lexical domine. Pour quelles raisons ?
Extrait 5 Tension dramatique et menace
Depuis cinq jours, le terrible vent du nord-ouest, le mistral, soufflait. La veille, il était tombé vers le soir. Mais, au lever du soleil, il avait repris, faiblement d’abord. La mer, à cette heure matinale, houleuse sous les haleines brusques qui la fouettaient, se moirait de bleu sombre ; et, éclairée de biais par les premiers rayons, elle roulait de petites flammes à la crête de chaque vague. Le ciel était presque blanc, d’une limpidité cristalline. Marseille, dans le fond, avait une netteté de détails qui permettait de compter les fenêtres sur les façades des maisons ; tandis que les rochers du golfe s’allumaient de teintes roses, d’une extrême délicatesse. « Nous allons être secoués pour revenir, dit Frédéric. – Peut-être », répondit simplement Micoulin. Il ramait en silence, sans tourner la tête. Le jeune homme avait un instant regardé son dos rond, en pensant à Naïs ; il ne voyait du vieux que la nuque brûlée de hâle, et deux bouts d’oreilles rouges, où pendaient des anneaux d’or. Puis, il s’était penché, s’intéressant aux profondeurs marines qui fuyaient sous la barque. L’eau se troublait, seules de grandes herbes vagues flottaient comme des cheveux de noyé. Cela l’attrista, l’effraya même un peu. « Dites donc, père Micoulin, reprit-il après un long silence, voilà le vent qui prend de la force. Soyez prudent… vous savez que je nage comme un cheval de plomb. – Oui, oui, je sais », dit le vieux de sa voix sèche. Et il ramait toujours, d’un mouvement mécanique. La barque commençait à danser, les petites flammes, aux crêtes des vagues, étaient devenues des flots d’écume qui volaient sous les coups de vent. Frédéric ne voulait pas montrer sa peur, mais il était médiocrement rassuré, il eût donné beaucoup pour se rapprocher de la terre. Il s’impatienta, il cria : « Où diable avez-vous fourré vos jambins (1), aujourd’hui ?… Est-ce que nous allons à Alger ? » Mais le père Micoulin répondit de nouveau, sans se presser : « Nous arrivons, nous arrivons. » Tout d’un coup, il lâcha les rames, il se dressa dans la barque, chercha du regard, sur la côte, les deux points de repère ; et il dut ramer cinq minutes encore, avant d’arriver au milieu des bouées de liège, qui marquaient la place des jambins. Là, au moment de retirer les paniers, il resta quelques secondes tourné vers la Blancarde. Frédéric, en suivant la direction de ses yeux, vit distinctement, sous les pins, une tache blanche. C’était Naïs, toujours accoudée à la terrasse, et dont on apercevait la robe claire.
(1) Sortes de nasses allongées, dans lesquelles on prend surtout des langoustes et des rougets.
Questions
1) Le champ lexical ayant trait à la menace parcourt le texte. Repérez les termes le constituant et définissez les domaines auxquels ils appartiennent.
2) Quel sens donnez-vous à la présence du personnage de Naïs à la fin de l’extrait ?
Extrait 6 La tentative de meurtre
Mme Rostand avait apporté l’éternel travail de broderie qu’on lui voyait toujours aux mains. Naïs, assise près d’elle, paraissait s’intéresser au va-et-vient de l’aiguille. Mais son regard guettait son père. Il faisait la sieste, allongé à quelques pas. Un peu plus loin, Frédéric dormait lui aussi, sous son chapeau de paille rabattu, qui lui protégeait le visage. Vers quatre heures, ils s’éveillèrent. Micoulin jurait qu’il connaissait une compagnie de perdreaux, au fond de la gorge. Trois jours auparavant, il les avait encore vus. Alors, Frédéric se laissa tenter, tous deux prirent leur fusil. « Je t’en prie, criait Mme Rostand, sois prudent… Le pied peut glisser, et l’on se blesse soi-même. – Ah ! ça arrive », dit tranquillement Micoulin. Ils partirent, ils disparurent derrière les rochers. Naïs se leva brusquement et les suivit à distance, en murmurant : « Je vais voir. » Au lieu de rester dans le sentier, au fond de la gorge, elle se jeta vers la gauche, parmi des buissons, pressant le pas, évitant de faire rouler les pierres. Enfin, au coude du chemin, elle aperçut Frédéric. Sans doute, il avait déjà fait lever les perdreaux, car il marchait rapidement, à demi courbé, prêt à épauler son fusil. Elle ne voyait toujours pas son père. Puis, tout d’un coup, elle le découvrit de l’autre côté du ravin, sur la pente où elle se trouvait elle-même : il était accroupi, il semblait attendre. À deux reprises, il leva son arme. Si les perdreaux s’étaient envolés entre lui et Frédéric, les chasseurs, en tirant, pouvaient les atteindre. Naïs, qui se glissait de buisson en buisson, était venue se placer, anxieuse, derrière le vieux. Les minutes s’écoulaient. En face, Frédéric avait disparu dans un pli de terrain. Il reparut, il resta un moment immobile. Alors, de nouveau, Micoulin, toujours accroupi, ajusta longuement le jeune homme. Mais, d’un coup de pied, Naïs avait haussé le canon, et la charge partit en l’air, avec une détonation terrible, qui roula dans les échos de la gorge. Le vieux s’était relevé. En apercevant Naïs, il saisit par le canon son fusil fumant, comme pour l’assommer d’un coup de crosse. La jeune fille se tenait debout, toute blanche, avec des yeux qui jetaient des flammes. Il n’osa pas frapper, il bégaya seulement en patois, tremblant de rage : « Va, va, je le tuerai. » Au coup de feu du méger, les perdreaux s’étaient envolés. Frédéric en avait abattu deux, vers six heures, les Rostand rentrèrent à la Blancarde. Le père Micoulin ramait, de son air de brute têtue et tranquille.
Questions
1) Comment pourriez-vous qualifier l’attitude de chacun des personnages du passage ? Justifiez votre réponse.
2) pour quelles raisons, selon vous, le père Micoulin ne frappe-t-il pas Naïs ?
Extrait 7 La mort du vieux
Le méger s’éloigna d’un pas traînard. Il lui fallait descendre et aller chercher sa barque au pied de la falaise, juste sous l’olivier où il avait surpris sa fille. Quand il eut disparu, Frédéric, en tournant les yeux, fut étonné de voir Toine déjà au travail ; le bossu se trouvait près de l’olivier, une pioche à la main, réparant l’étroit canal que les pluies avaient crevé. L’air était frais, il faisait bon à la fenêtre. Le jeune homme rentra dans sa chambre pour rouler une cigarette. Mais, comme il revenait lentement s’accouder, un bruit épouvantable, un grondement de tonnerre, se fit entendre ; et il se précipita. C’était un éboulement. Il distingua seulement Toine qui se sauvait en agitant sa bêche, dans un nuage de terre rouge. Au bord du gouffre, le vieil olivier aux branches tordues s’enfonçait, tombait tragiquement à la mer. Un rejaillissement d’écume montait. Cependant, un cri terrible avait traversé l’espace. Et Frédéric aperçut alors Naïs, qui, sur ses bras raidis, emportée par un élan de tout son corps, se penchait au-dessus du parapet de la terrasse, pour voir ce qui se passait au bas de la falaise. Elle restait là, immobile, allongée, les poignets comme scellés dans la pierre. Mais elle eut sans doute la sensation que quelqu’un la regardait, car elle se tourna, elle cria en voyant Frédéric : « Mon père ! Mon père ! » Une heure après, on trouva, sous les pierres, le corps de Micoulin mutilé horriblement. Toine, fiévreux, racontait qu’il avait failli être entraîné ; et tout le pays déclarait qu’on n’aurait pas dû faire passer un ruisseau là-haut, à cause des infiltrations. La mère Micoulin pleura beaucoup. Naïs accompagna son père au cimetière, les yeux secs et enflammés, sans trouver une larme.
Questions
1) Quels sens peut-on donner à la présence de Toine dans cet extrait ?
2) « Elle restait là, immobile, allongée, les poignets comme scellés dans la pierre. Mais elle eut sans doute la sensation que quelqu’un la regardait, car elle se tourna, elle cria en voyant Frédéric : « Mon père ! Mon père ! » Comment comprenez-vous l’attitude de Naïs ?
3) Que pourrait symboliser la chute du vieil olivier lors de l’éboulement ?
Toine, un personnage secondaire … très important !
Par définition, le personnage secondaire est un personnage de second plan, en retrait donc par rapport au héros ou à l’héroïne qui agissent au premier plan. Ses apparitions dans le récit sont ponctuelles et ses fonctions varient selon la manière dont il agit vis-à-vis du personnage principal. Ainsi, il peut être un adjuvant à l’action du personnage principal (en l’aidant à atteindre l’objectif que le personnage principal souhaite atteindre). Mais il peut être également un opposant dont l’action sera d’empêcher le personnage principal d’atteindre son but.
Extrait
« Une nuit, comme ils suivaient un chemin au dessus de L’Estaque, pour gagner les gorges de la Nerthe, ils crurent entendre un pas étouffé qui les accompagnait, derrière un petit bois de pins, planté au bord de la route. Ils s’arrêtèrent, pris d’inquiétude. « Entends-tu ? demanda Frédéric. – Oui, quelque chien perdu », murmura Naïs. Et ils continuèrent leur marche. Mais, au premier coude du chemin, comme le petit bois cessait, ils virent distinctement une masse noire se glisser derrière les rochers. C’était, à coup sûr, un être humain, bizarre et comme bossu. Naïs eut une légère exclamation. « Attends-moi », dit-elle rapidement. Elle s’élança à la poursuite de l’ombre. Bientôt, Frédéric entendit un chuchotement rapide. Puis elle revint, tranquille, un peu pâle. « Qu’est-ce donc ? demanda-t-il. – Rien », dit-elle. Après un silence, elle reprit : « Si tu entends marcher, n’aie pas peur. C’est Toine, tu sais ? Le bossu. Il veut veiller sur nous. » En effet, Frédéric sentait parfois dans l’ombre quelqu’un qui les suivait. Il y avait comme une protection autour d’eux. À plusieurs reprises, Naïs avait voulu chasser Toine ; mais le pauvre être ne demandait qu’à être son chien : on ne le verrait pas, on ne l’entendrait pas, pourquoi ne point lui permettre d’agir à sa guise ? Dès lors, si les amants eussent écouté, quand ils se baisaient à pleine bouche dans les tuileries en mine, au milieu des carrières désertes, au fond des gorges perdues, ils auraient surpris derrière eux des bruits étouffés de sanglots. C’était Toine, leur chien de garde, qui pleurait dans ses poings tordus. »
Questions
1) Selon vous, le personnage de Toine est-il un adjuvant ou un opposant à la quête de Naïs ?
2) Pourquoi, selon vous, pleure-t-il ?
Extrait 8 L’excipit
L’excipit est un terme employé en analyse littéraire qui désigne les dernières lignes d’une œuvre. Il s’oppose ainsi à l’incipit, qui désigne soit le premier vers d’un poème, soit plus généralement le commencement d’une œuvre.
L’excipit est cependant un mot utilisé à tort, on parle normalement d’un explicit, mais l’erreur est fréquente.
Les trois plus fréquents types sont :
1. L’excipit dramatique : il se termine par un évènement positif ou négatif (la mort d’un personnage, un départ, un mariage, etc.) qui met un point final au récit. Cela peut également être une révélation (identité du coupable).
2. L’excipit à valeur morale ou philosophique : l’auteur nous fournit une leçon morale ou philosophique tirée de l’action vécue par le personnage. C’est le plus fréquent à la fin des contes.
3. L’excipit sans conclusion : soit le lecteur est censé conclure lui-même (il n’y a pas de fin précise), soit il y a un épilogue dans lequel l’auteur explique l’avenir du personnage. Ce dernier n’a pas achevé l’action dans ce cas. C’est utilisé pour donner envie de connaître la suite, pour inciter le lecteur à acheter le tome suivant, par exemple.
Extrait
Aussi passa-t-il un hiver charmant : il faisait venir des dames de Marseille, qu’il hébergeait dans une chambre louée par lui, au faubourg ; il découchait, rentrait seulement aux heures où sa présence était indispensable, dans le grand hôtel froid de la rue du Collège ; et il espérait bien que son existence coulerait toujours ainsi. À Pâques, M. Rostand dut aller à la Blancarde. Frédéric inventa un prétexte pour ne pas l’accompagner. Quand l’avoué revint, il dit, au déjeuner : « Naïs se marie. – Bah ! s’écria Frédéric stupéfait. – Et vous ne devineriez jamais avec qui, continua M. Rostand. Elle m’a donné de si bonnes raisons… » Naïs épousait Toine, le bossu. Comme cela, rien ne serait changé à la Blancarde. On garderait pour méger Toine, qui prenait soin de la propriété depuis la mort du père Micoulin. Le jeune homme écoutait avec un sourire gêné. Puis, il trouva lui-même l’arrangement commode pour tout le monde. « Naïs est bien vieillie, bien enlaidie, reprit M. Rostand. Je ne la reconnaissais pas. C’est étonnant comme ces filles, au bord de la mer, passent vite… Elle était très belle, cette Naïs. – Oh ! un déjeuner de soleil », dit Frédéric, qui achevait tranquillement sa côtelette.
Questions
1) A quel type d’excipit avons-nous affaire ici ? Justifiez votre réponse.
2) Quel sens donnez-vous à la dernière phrase de la nouvelle : « Oh ! un déjeuner de soleil », dit Frédéric, qui achevait tranquillement sa côtelette. »
3) Frédéric est-il un héros ?
c quoi cette putain de vie
ma vie est horible aider moi
Séquence bien construite, claire et très pratique ! Une aide précieuse!