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L’honnête homme, séquence de français 2012

Problématique

Dans le cadre d’un travail ayant trait à l’étude d’un mouvement littéraire et culturel français et européen, nous avons été amenés à nous intéresser à la question suivante : quelles sont les caractéristiques, et les limites, de l’idéal classique de « l’honnête homme » au XVIIème siècle ?

Vous trouverez dans les lignes qui suivent des éléments de réponse permettant de mieux cerner cette notion dont l’influence fut capitale sur le comportement des élites sociales du « Grand siècle ». Vous pourrez également avoir accès aux textes étudiés par les élèves de Première STG Gestion, textes qu’ils présenteront lors de L’E.A.F pour cette année 2012.

Bonne lecture à vous, honnêtes gens !

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Présentation

« A l’intérieur, fais comme il te plaît, à l’extérieur, agis selon la coutume ». Cette formule, traduite d’un précepte latin, résume parfaitement la manière dont un homme digne de ce nom se devait d’agir  au XVIIème siècle : sociable et poli dans l’espace public, libre de ses jugements dans la vie privée. Cette conception de l’homme, qui relève des règles de bienséance du classicisme littéraire, convient à la fois à l’aristocrate et au  riche bourgeois qui doivent « plaire » dans une société où les rapports sociaux sont soumis à des règles de conduite contraignantes, une société dans laquelle il faut savoir garder sa place et « être soi-même ». En fait la difficulté résidait essentiellement dans le fait de faire coïncider attitude publique et honnêteté morale personnelle.  Nous verrons dans un premier temps quelles étaient les qualités que l’honnête homme devait posséder pour tenir son rang, mais aussi que ce genre d’attitude pouvait favoriser une hypocrisie sociale que de nombreux auteurs de l’époque ont dénoncée dans leurs œuvres.

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L’honnête homme : un modèle d’humanité

L’honnête homme est apparu au XVIIème siècle sous la plume de moralistes et d’écrivains. Parmi eux, Nicolas Faret et son livre L’Honnête Homme paru en 1633 ou le Chevalier de Méré dans son ouvrage De la vraie honnêteté (œuvre posthume, 1700) dressent le portrait de ce type humain idéal.

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1)      Un homme agréable à l’esprit ouvert

A l’aise en société, l’honnête homme est celui dont on recherche la compagnie. Ses manières sont raffinées et son élégance n’est pas vulgaire. Sa conversation est intéressante sans être pédante : il sait parler mais aussi écouter. C’est un homme de modération qui ne se laisse pas guider par ses passions. Raisonnable, homme du juste milieu, il a l’esprit fin et rapide.

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2)      Un homme qui sait s’adapter

Sa puissante capacité d’observation lui permet de juger rapidement le « public » auquel il a affaire et il adapte son comportement selon les circonstances et ses interlocuteurs. Respectueux des autres il se met à leur niveau tout en restant simple.

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3)      Un homme naturel et simple

S’il doit s’adapter au monde qui l’entoure, l’honnête homme ne doit jamais perdre de vue une qualité essentielle : celle de rester soi-même, de rester naturel. Un honnête homme digne de ce nom ne doit jamais faire semblant. Il doit se comporter en accord avec soi-même.

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4)      Un homme cultivé et modeste

Homme d’une large culture, il possède des connaissances sur de nombreux sujets. Cela lui permet de prendre part à toutes les conversations, sans pour cela faire étalage de sa science.

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5)      Un homme de foi

Chrétien, sans être fanatique, sa foi n’exclut pas « l’autre ». Défenseur de son pays, il n’hésite pas à recourir à la force si la situation l’exige, sans férocité.

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Les limites de l’honnêteté

Des auteurs classiques, parmi lesquels Jean de La Fontaine ou La Bruyère n’ont pas manqué de remarquer que nombreux étaient leurs contemporains à « jouer » à l’honnête homme. En effet l’honnêteté a servi souvent de « masque » à l’hypocrisie d’individus sans scrupules, prêts à flatter, à plaire afin de servir leurs propres intérêts. Cette honnêteté de façade est difficile à discerner de la véritable, et il faut un certain talent d’observation pour distinguer l’hypocrite de l’honnête homme véritable.

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Citations

Chevalier de Méré. « Le parti qui plaît aux honnêtes gens est celui de la franchise et de la simplicité ».

La Rochefoucauld. « Les faux honnêtes gens sont ceux qui déguisent leurs défauts aux autres et à eux-mêmes. Les vrais honnêtes gens sont ceux qui les connaissent parfaitement et les confessent ».

Nicolas Faret. «  Un honnête homme, que je ne distingue pas de l’homme de bien, doit tâcher d’être utile à sa patrie, et, en se rendant agréable à tout le monde, il est obligé de ne pas profiter seulement à soi-même, mais encore au public, et particulièrement à ses amis qui seront tous les vertueux. »

Dictionnaire de l’Académie française. Première édition de 1694. Orthographe actualisée.

Honnête signifie aussi : civil, courtois, poli. « C’est l’homme du monde le plus honnête, il n’y a rien de si honnête que lui, il a l’air honnête, les manières honnêtes, il lui a fait la réception du monde la plus honnête, accueil honnête, il lui a parlé d’une manière très honnête, il a le procédé assez honnête mais cependant il ne faut pas trop s’y fier ».

Honnête homme. Outre la signification qui a été touchée au premier article et qui veut dire « homme d’honneur, homme de probité », cela comprend encore toutes les qualités agréables qu’un homme peut avoir dans la vie civile. « C’est un parfaitement honnête homme, il faut bien des qualités pour faire un honnête homme ».

Quelquefois on appelle aussi « honnête homme » un homme en qui on ne considère alors que les qualités et les manières du monde. Et en ce sens, « honnête homme » ne veut dire autre chose que galant homme, homme de bonne conversation, de bonne compagnie.

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Corpus de textes

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Texte 1  Bossuet, Oraison funèbre de louis de Bourbon, 1687.

A la veille d’un si grand jour, et dès la première bataille, il est tranquille, tant il se trouve dans son naturel; et on sait que le lendemain, à l’heure marquée, il fallut réveiller d’un profond sommeil cet autre Alexandre(1) . Le voyez-vous comme il vole ou à la victoire ou à la mort? Aussitôt qu’il eut porté de rang en rang l’ardeur dont il était animé, on le vit presque en même temps pousser l’aile droite des ennemis, soutenir la nôtre ébranlée, rallier le Français à demi vaincu, mettre en fuite l’Espagnol victorieux, porter partout la terreur, et étonner de ses regards étincelants ceux qui échappaient à ses coups. Restait cette redoutable infanterie de l’armée d’Espagne, dont les gros bataillons serrés, semblables à autant de tours, mais à des tours qui sauraient réparer leur brèches, demeuraient inébranlables au milieu de tout le reste en déroute, et lançaient des feux de toutes parts. Trois fois le jeune vainqueur s’efforça de rompre ces intrépides combattants; trois fois il fut repoussé par le valeureux comte de Fontaines(2), qu’on voyait porté dans sa chaise et, malgré ses infirmités, montrer qu’une âme guerrière est maîtresse du corps qu’elle anime. Mais enfin il faut céder. C’est en vain qu’à travers des bois, avec sa cavalerie toute fraîche, Beck(3) précipite sa marche pour tomber sur nos soldats épuisés; le prince l’a prévenu(4), les bataillons enfoncés demandent quartier(5); mais la victoire va devenir plus terrible pour le duc d’Enghien que le combat. Pendant qu’avec un air assuré il s’avance pour recevoir la parole de ces braves gens, ceux-ci, toujours en garde, craignent la surprise de quelque nouvelle attaque: leur effroyable décharge met les nôtres en furie; on ne voit plus que carnage; le sang enivre le soldat, jusqu’à ce que le grand prince, qui ne put voir égorger ces lions comme de timides brebis, calmât les courages émus(6), et joignit au plaisir de vaincre celui de pardonner. Quel fut alors l’étonnement de ces vieilles troupes et de leurs braves officiers, lorsqu’ils virent qu’il n’y avait plus de salut pour eux qu’entre les bras du vainqueur! De quels yeux regardèrent-ils le jeune prince, dont la victoire avait relevé la haute contenance, à qui la clémence ajoutait de nouvelles grâces! Qu’il eût encore volontiers sauvé la vie au brave comte de Fontaines! Mais il se trouva par terre parmi ces milliers de morts dont l’Espagne sent encore la perte. Elle ne savait pas que le prince qui lui fit perdre tant de ses vieux régiments à la journée de Rocroi en devait achever les restes dans les plaines de Lens. Ainsi la première victoire fut le gage de beaucoup d’autres. Le prince fléchit le genou, et dans le champ de bataille il rend au Dieu des armées la gloire qu’il lui envoyait. Là on célébra Rocroi délivré, les menaces d’un redoutable ennemi tournées à sa honte, la régence affermie, la France en repos, et un règne(7) qui devait être si beau commencé par un si heureux présage.

Notes

(1)   Alexandre le Grand, roi de Macédoine, fut un grand chef militaire et conquérant du IVème siècle av J.C.

(2)   Il commandait l’armée espagnole. Il est ici dans une chaise à porteurs.

(3)   Chef des renforts allemands.

(4)   devancé

(5)   demandent la vie sauve

(6)   cœurs excités, enragés

(7)   Le règne de Louis XIV commence en principe en 1643, date de la mort de Louis XIII.

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Texte 2  Jean de La Fontaine, Le Chêne et le Roseau, Fables, 1668-1694.

Le Chêne un jour dit au Roseau :
« Vous avez bien sujet d’accuser la Nature ;
Un Roitelet pour vous est un pesant fardeau.
Le moindre vent, qui d’aventure
Fait rider la face de l’eau,
Vous oblige à baisser la tête :
Cependant que mon front, au Caucase pareil,
Non content d’arrêter les rayons du soleil,
Brave l’effort de la tempête.
Tout vous est Aquilon, tout me semble Zéphyr(1).
Encor si vous naissiez à l’abri du feuillage
Dont je couvre le voisinage,
Vous n’auriez pas tant à souffrir :
Je vous défendrais de l’orage ;
Mais vous naissez le plus souvent
Sur les humides bords des Royaumes du vent.
La nature envers vous me semble bien injuste.
– Votre compassion, lui répondit l’Arbuste,
Part d’un bon naturel ; mais quittez ce souci.
Les vents me sont moins qu’à vous redoutables.
Je plie, et ne romps pas. Vous avez jusqu’ici
Contre leurs coups épouvantables
Résisté sans courber le dos ;
Mais attendons la fin. « Comme il disait ces mots,
Du bout de l’horizon accourt avec furie
Le plus terrible des enfants
Que le Nord eût portés jusque-là dans ses flancs.
L’Arbre tient bon ; le Roseau plie.
Le vent redouble ses efforts,
Et fait si bien qu’il déracine
Celui de qui la tête au Ciel était voisine
Et dont les pieds touchaient à l’Empire des Morts.

Notes

(1)   L’Aquilon est un vent du nord, fort et froid ; le Zéphyr est un vent d’ouest, doux et léger.

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Texte 3  Fénelon, Les Aventures de Télémaque, 1694.

Mentor nous dit qu’il avait été autrefois en Crète, et il nous expliqua ce qu’il en connaissait. « Cette île – disait-il – admirée de tous les étrangers, et fameuse par ses cent villes, nourrit sans peine tous ses habitants, quoiqu’ils soient innombrables. C’est que la terre ne se lasse jamais de répandre ses biens sur ceux qui la cultivent; son sein fécond ne peut s’épuiser. Plus il y a d’hommes dans un pays, pourvu qu’ils soient laborieux, plus ils jouissent de l’abondance. Ils n’ont jamais besoin d’être jaloux les uns des autres: la terre, cette bonne mère, multiplie ses dons selon le nombre de ses enfants qui méritent ses fruits par leur travail. L’ambition et l’avarice des hommes sont les seules sources de leur malheur: les hommes veulent tout avoir, et ils se rendent malheureux par le désir du superflu; s’ils voulaient vivre simplement et se contenter de satisfaire aux vrais besoins, on verrait partout l’abondance, la joie, la paix et l’union.

C’est ce que Minos (1), le plus sage et le meilleur de tous les rois, avait compris. Tout ce que vous verrez de plus merveilleux dans cette île est le fruit de ses lois. L’éducation qu’il faisait donner aux enfants rend les corps sains et robustes: on les accoutume d’abord à une vie simple, frugale et laborieuse; on suppose que toute volupté amollit le corps et l’esprit; on ne leur propose jamais d’autre plaisir que celui d’être invincibles par la vertu et d’acquérir beaucoup de gloire. On ne met pas seulement ici le courage à mépriser la mort dans les dangers de la guerre, mais encore à fouler aux pieds les trop grandes richesses et les plaisirs honteux. Ici on punit trois vices qui sont impunis chez les autres peuples: l’ingratitude, la dissimulation et l’avarice.

Pour le faste et la mollesse, on n’a jamais besoin de les réprimer, car ils sont inconnus en Crète. Tout le monde y travaille, et personne ne songe à s’y enrichir; chacun se croit assez payé de son travail par une vie douce et réglée, où l’on jouit en paix et avec abondance de tout ce qui est véritablement nécessaire à la vie. On n’y souffre (2) ni meubles précieux, ni habits magnifiques, ni festins délicieux, ni palais dorés. Les habits sont de laine fine et de belles couleurs, mais tout unis et sans broderie. Les repas y sont sobres; on y boit peu de vin: le bon pain en fait la principale partie, avec les fruits que les arbres offrent comme d’eux-mêmes, et le lait des troupeaux. Tout au plus on y mange un peu de grosse viande sans ragoût (3); encore même a-t-on soin de réserver ce qu’il y a de meilleur dans les grands troupeaux de boeufs pour faire fleurir l’agriculture. Les maisons y sont propres, commodes, riantes, mais sans ornements. La superbe architecture n’y est pas ignorée; mais elle est réservée pour les temples des dieux, et les hommes n’oseraient avoir des maisons semblables à celles des immortels. Les grands biens des Crétois sont la santé, la force, le courage, la paix et l’union des familles, la liberté de tous les citoyens, l’abondance des choses nécessaires, le mépris des superflues, l’habitude du travail et l’horreur de l’oisiveté, l’émulation pour la vertu, la soumission aux lois, et la crainte des justes dieux. »

Notes

(1)   Roi et législateur de la Crète, devenu après sa mort juge aux enfers.

(2)   tolère

(3)   sauce, assaisonnement

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Texte complémentaire La Bruyère, « De la mode », Les Caractères (24), 1688-1696.

Onuphre n’a pour tout lit  qu’une housse de serge1 grise, mais il couche sur le coton et sur le duvet ; de même il est habillé simplement, mais commodément, je veux dire d’une étoffe fort légère en été, et d’une autre fort moelleuse pendant l’hiver; il porte des chemises très déliées2, qu’il a un très grand soin de bien cacher. Il ne dit point : Ma haire et ma discipline, au contraire ; il passerait pour ce qu’il est, pour un hypocrite, et il veut passer pour ce qu’il n’est pas, pour un homme dévot : il est vrai qu’il fait en sorte que l’on croit, sans qu’il le dise, qu’il porte une haire et qu’il se donne la discipline. Il y a quelques livres répandus dans sa chambre indifféremment, ouvrez-les : c’est Le Combat spirituel, Le Chrétien intérieur, et L’Année sainte4 ; d’autres livres sont sous la clef. S’il marche par la ville, et qu’il découvre de loin un homme devant qui il est nécessaire qu’il soit dévot, les yeux baissés, la démarche lente et modeste, l’air recueilli lui sont familiers : il joue son rôle. S’il entre dans une église, il observe d’abord de qui il peut être vu ; et selon la découverte qu’il vient de faire, il se met à genoux et prie, ou il ne songe ni à se mettre à genoux ni à prier. Arrive-t-il vers lui un homme de bien et d’autorité qui le verra et qui peut l’entendre, non seulement il prie, mais il médite, il pousse des élans5 et des soupirs ; si l’homme de bien se retire, celui-ci, qui le voit partir, s’apaise et ne souffle pas. Il entre une autre fois dans un lieu saint, perce la foule, choisit un endroit pour se recueillir, et où tout le monde voit qu’il s’humilie : s’il entend des courtisans qui parlent, qui rient, et qui sont à la chapelle avec moins de silence que dans l’antichambre6, il fait plus de bruit qu’eux pour les faire taire ; il reprend sa méditation, qui est toujours la comparaison qu’il fait de ces personnes avec lui-même, et où il trouve son compte. Il évite une église déserte et solitaire, où il pourrait entendre deux messes de suite, le sermon, vêpres7 et complies8, tout cela entre Dieu et lui, et sans que personne lui en sût gré: il aime la paroisse, il fréquente les temples où se fait un grand concours9 ; on n’y manque point son coup, on y est vu.

 

1 : Tissu léger en laine / 2 : Fines / 3 : Allusion au Tartuffe de Molière (III, 2). La haire est une chemise en crin portée par esprit de pénitence, la discipline est un fouet utilisé pour se mortifier. / 4 : Livres de piété / 5 : Soupirs assez bruyants / 6 : L’antichambre du Roi à Versailles / 7 : Office religieux de l’après midi / 8 : Office religieux du soir / 9 : Où il y a du monde

 

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