Séquence sur le théâtre : La colonie de Marivaux, texte et représentation
« Monsieur ; sachez que jusqu’ici nous n’avons été poltronnes que par éducation »
Arthénice, scène 13
Affiche illustrant l’effort de guerre américain durant la seconde guerre mondiale. L’affiche est devenue célèbre dans les années 1980 lorsque le mouvement féministe américain se l’appropria.
Histoire de l’œuvre
L’œuvre théâtrale La Colonie que nous allons étudier a été publiée en 1750 et jouée dans un lieu privé pour un public privilégié. Il s’agit de la réécriture d’une pièce représentée en 1729 et intitulée La Nouvelle Colonie ou Ligue des Femmes. Elle faisait partie d’une trilogie insulaire dans laquelle on trouve L’île des Esclaves (1725) et L’île de la Raison (1727). Si la première de ces pièces utopiques connut un certain succès, les deux autres furent des échecs retentissants. On peut penser que l’échec de La Nouvelle Colonie ou Ligue des Femmes est à mettre sur le compte des réticences d’un public masculin qui a pu être choqué par les revendications de femmes pour lesquelles ils n’avaient en fait que du mépris. Le libertinage battait alors son plein, et les hommes de l’époque demandaient d’abord aux femmes de leur plaire … et de se taire. En 1750, les mentalités ont peu évolué et les femmes sont toujours considérées comme des subalternes. La galanterie qu’elles inspirent n’est qu’un leurre destiné à mieux les tromper et les maintenir dans leur état de soumission !
Une œuvre d’inspiration antique
De par son intrigue et ses personnages La Colonie n’est pas sans rappeler deux pièces du dramaturge grec Aristophane, L’Assemblée des femmes et Lysistrata. Ecrite en 411 A.J.C, Lysistrata met en scène des femmes qui, lassées des aspirations belliqueuses de leurs maris contre les cités voisines, leur impose la paix en se refusant à eux… comme Mme Sorbin et Athénice qui proposent à leurs amies de s’enlaidir ! Dans L’Assemblée des femmes, écrite en 392 A.J.C, les femmes décident de remplacer les hommes aux commandes de la cité afin de garantir la paix et la prospérité. Dans les deux cas les démarches des femmes échouent à cause de querelles internes qui les empêcheront d’aller jusqu’au bout de leurs revendications. Finalement hommes et femmes se réconcilient, et chacun regagne sa place, comme dans La Colonie.
Une œuvre novatrice
Afin de mieux cerner le caractère novateur de l’oeuvre La Colonie il nous faut d’abord la resituer dans son contexte historique. Nous verrons dans un premier temps et de façon sommaire, quelle était la place de la femme dans la société française « traditionnelle » et comment s’effectuait son rapport avec le « savoir », pour nous intéresser ensuite plus précisément au statut de la femme à l’époque de Marivaux.
A) Avec le développement de l’Humanisme et de l’imprimerie au début du XVIème siècle, il est convenu dans « les bonnes familles » issues de la noblesse ou de la grande bourgeoisie, de favoriser l’accès des filles à l’éducation (maîtrise du français, langues, notions de mathématiques, littérature…). Certaines d’entre-elles (très peu) eurent la chance, à l’instar de la poétesse Louise Labé, de bénéficier d’un enseignement humaniste de grande qualité. Pour la majeure partie d’entre-elles cependant, le savoir auquel elles ont un peu goûté devait avant tout les préparer à leur rôle d’épouse et de mère de famille.
B) Au XVIIème siècle, quelques femmes de la haute société tiennent des salons où se rencontre l’élite intellectuelle de l’époque. Citons par exemple Ninon de Lenclos dont le salon accueillait régulièrement à Paris des personnalités telles que Molière, La Fontaine, Charles Perrault, Racine… Femme libre dotée de beaucoup d’esprit et d’une grande beauté, sa place en marge de la « bonne la société » dépendait aussi du bon vouloir de ses illustres amants qui la protégeaient. Des femmes écrivains comme madame de La Fayette ou madame de Sévigné connaissent, sous le couvert de l’anonymat, de réels succès. C’est aussi l’époque des Précieuses qu’ a « ridiculisé » Molière, femmes de la haute société sophistiquées à outrance, éprises de politesse et de savoir, et souvent critiquées.
C) Au XVIIIème siècle l’instruction des filles progresse un peu et se fait essentiellement à la maison ou dans les établissements religieux. Le rôle maternel des femmes est toujours mis en avant. Des philosophes cependant appellent à un plus grand épanouissement intellectuel pour les femmes. C’est le cas par exemple de d’Alembert qui dans son essai Des femmes (1774) écrit : « A l’égard des ouvrages de génie et de sagacité, mille exemples nous prouvent que la faiblesse du corps n’y est pas un obstacle dans les hommes. Pourquoi donc une éducation plus solide et plus mâle ne mettrait-elle pas les femmes à portée d’y réussir ? »
Condorcet, quant à lui affirme, dans son Essai sur l’admission des femmes au droit de cité (1790) : « Tous n’ont-ils pas violé le principe d’égalité des droits, en privant tranquillement la moitié du genre humain de celui de concourir à la formation des lois, en excluant les femmes du droit de cité ? » Cette idée d’égalité entre les deux sexes sera aussi défendue par Diderot et Helvétius.
Les personnages de la pièce
Madame Sorbin
Il s’agit du personnage le plus autoritaire de la pièce, une « maîtresse-femme » qui fait dire à Monsieur Sorbin, son mari : « Ma femme est têtue, et je gage qu’elle a tout ameuté» (scène 12). Sa fille Lina subit régulièrement ses colères et son mauvais caractère provoquera la méfiance des autres femmes, dont Arthénice. Femme de revendication elle remet en cause le système traditionnel et affirme l’égalité des sexes et des classes.
Arthénice
Elle est la représentante des femmes de la noblesse. La scène 9 lui permet d’exprimer clairement les revendications à l’égalité des femmes de l’île. Timagène est amoureux d’elle.
Monsieur Sorbin
Marié et père de famille, il est le représentant du tiers-état. Il travaille à doter l’île d’une constitution. Il considère la place des femmes dans la société comme subalterne, ce qui ne l’empêche pas d’éprouver de l’affection pour sa fille et son épouse.
Hermocrate
Il est le maître, comme son nom l’indique et exprime un profond mépris envers les revendications féminines. C’est lui qui a l’idée du stratagème de la menace de guerre et qui sème le trouble parmi les femmes, au point de les diviser.
Timagène
Représentant de la noblesse, il intervient peu. Il est le soupirant d’Arthénice.
Persinet et Lina
Les deux amoureux incarnent la jeune génération de la pièce. Leur amour est contrarié par des adultes qui les considèrent avec un certain mépris. Ils n’ont pas droit à la parole.
Tableau des interventions des personnages scène par scène
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On constate l’omniprésence des personnages féminins dans la première partie de la pièce et la quasi absence des personnages masculins. A partir de la scène 12 les hommes sont de retour, reprenant ainsi l’ascendant sur les femmes.
Extraits et pistes d’analyse
Texte 1 Scène 1
LA COLONIE
COMÉDIE en un acte, en prose.
M. DCC. L.
[MARIVAUX]
Publié dans le Mercure de France en décembre 1750.
ACTEURS
ARTHÉNICE, femme noble.
Madame SORBIN, femme d’artisan.
Monsieur SORBIN, mari de Madame Sorbin.
TIMAGÈNE, homme noble.
LINA, fille de Madame Sorbin.
PERSINET, jeune homme du peuple, amant de Lina.
HERMOCRATE.
Troupe de femmes, tant nobles que du peuple.
La scène est dans une île où sont abordés tous les acteurs.
SCÈNE PREMIÈRE.
Arthénice, Madame Sorbin.
ARTHÉNICE.
Ah çà ! Madame Sorbin, ou plutôt ma compagne, car vous l’êtes, puisque les femmes de votre état viennent de vous revêtir du même pouvoir dont les femmes nobles m’ont revêtue moi-même, donnons-nous la main, unissons-nous et n’ayons qu’un même esprit toutes les deux.
MADAME SORBIN, lui donnant la main.
Conclusion, il n’y a plus qu’une femme et qu’une pensée ici.
ARTHÉNICE.
Nous voici chargées du plus grand intérêt que notre sexe ait jamais eu, et cela dans la conjoncture du monde la plus favorable pour discuter notre droit vis-à-vis les hommes.
MADAME SORBIN.
Oh ! Pour cette fois-ci, Messieurs, nous compterons ensemble.
ARTHÉNICE.
Depuis qu’il a fallu nous sauver avec eux dans cette île où nous sommes fixées, le gouvernement de notre patrie a cessé.
MADAME SORBIN.
Oui, il en faut un tout neuf ici, et l’heure est venue ; nous voici en place d’avoir justice, et de sortir de l’humilité ridicule qu’on nous a imposée depuis le commencement du monde : plutôt mourir que d’endurer plus longtemps nos affronts.
ARTHÉNICE.
Fort bien, vous sentez-vous en effet un courage qui réponde à la dignité de votre emploi ?
MADAME SORBIN.
Tenez, je me soucie aujourd’hui de la vie comme d’un fétu ; en un mot comme en cent, je me sacrifie, je l’entreprends. Madame Sorbin veut vivre dans l’histoire et non pas dans le monde.
ARTHÉNICE.
Je vous garantis un nom immortel.
MADAME SORBIN.
Nous, dans vingt mille ans, nous serons encore la nouvelle du jour.
ARTHÉNICE.
Et quand même nous ne réussirions pas, nos petites-filles réussiront.
MADAME SORBIN.
Je vous dis que les hommes n’en reviendront jamais. Au surplus, vous qui m’exhortez, il y a ici un certain Monsieur Timagène qui court après votre coeur ; court-il encore ? Ne l’a-t-il pas pris ? Ce serait là un furieux sujet de faiblesse humaine, prenez-y garde.
ARTHÉNICE.
Qu’est-ce que c’est que Timagène, Madame Sorbin ? Je ne le connais plus depuis notre projet ; tenez ferme et ne songez qu’à m’imiter.
MADAME SORBIN.
Qui ? Moi ! Et où est l’embarras ? Je n’ai qu’un mari, qu’est-ce que cela coûte à laisser ? Ce n’est pas là une affaire de coeur.
ARTHÉNICE.
Oh ! J’en conviens.
MADAME SORBIN.
Ah çà ! Vous savez bien que les hommes vont dans un moment s’assembler sous des tentes, afin d’y choisir entre eux deux hommes qui nous feront des lois ; on a battu le tambour pour convoquer l’assemblée.
ARTHÉNICE.
Eh bien ?
MADAME SORBIN.
Eh bien ? Il n’y a qu’à faire battre le tambour aussi pour enjoindre à nos femmes d’avoir à mépriser les règlements de ces messieurs, et dresser tout de suite une belle et bonne ordonnance de séparation d’avec les hommes, qui ne se doutent encore de rien.
ARTHÉNICE.
C’était mon idée, sinon qu’au lieu du tambour, je voulais faire afficher notre ordonnance à son de trompe.
MADAME SORBIN.
Oui-da, la trompe est excellente et fort convenable.
ARTHÉNICE.
Voici Timagène et votre mari qui passent sans nous voir.
MADAME SORBIN.
C’est qu’apparemment ils vont se rendre au Conseil. Souhaitez-vous que nous les appelions ?
ARTHÉNICE.
Soit, nous les interrogerons sur ce qui se passe.
Elle appelle Timagène.
MADAME SORBIN appelle aussi.
Holà ! Notre homme.
QUESTIONS
1) Quelles informations cette scène d’exposition fournit-elle au lecteur/spectateur ?
2) Quel est le projet porté par les femmes ?
3) Comment pourriez-vous qualifier leur attitude ? Justifiez votre réponse.
LA 1 Scène 1
Il s’agit là de la scène d’ouverture de l’œuvre. Nous verrons dans un premier temps dans quelle mesure cette scène d’exposition peut être qualifiée de classique, pour ensuite étudier les revendications de personnages hauts en couleurs entièrement dévoués à leur combat.
I) Une scène d’exposition conventionnelle
Sa fonction est de fournir aux lecteurs/spectateurs les informations nécessaires à la bonne compréhension de l’intrigue. Son efficacité tient au fait qu’elle permet de situer l’action dans l’espace, le temps, et de connaître les relations et les motivations des principaux personnages.
L’espace : didascalie 1 La scène est dans une île où sont abordés tous les acteurs.
Le temps : l’action se situe après la fuite d’un groupe d’hommes et de femmes.
Arthénice : « Depuis qu’il a fallu nous sauver avec eux dans cette île où nous sommes fixées, le gouvernement de notre patrie a cessé. »
Une autorité est donc à mettre en place pour cette nouvelle société, et les hommes s’en chargent. Madame Sorbin : « Ah çà ! Vous savez bien que les hommes vont dans un moment s’assembler sous des tentes, afin d’y choisir entre eux deux hommes qui nous feront des lois ; on a battu le tambour pour convoquer l’assemblée. »
Les personnages : une femme noble, Arthénice, et une femme du peuple, Madame Sorbin. Chose importante à souligner, Arthénice souligne, dès la première réplique, qu’elles sont désormais des égales. Une société nouvelle s’organise. De plus des renseignements d’ordre privé nous sont fournis. Ainsi nous apprenons qu’Arthénice est aimée par « … un certain Monsieur Timagène qui court après votre coeur ; court-il encore ? Ne l’a-t-il pas pris ? Ce serait là un furieux sujet de faiblesse humaine, prenez-y garde. » (Madame Sorbin) Nous apprenons aussi que Madame Sorbin est mariée … et que cela n’a rien à voir avec l’amour : « Qui ? Moi ! Et où est l’embarras ? Je n’ai qu’un mari, qu’est-ce que cela coûte à laisser ? Ce n’est pas là une affaire de coeur. »
Surtout nous savons que les deux femmes ont un projet en commun, dont l’intérêt est bien supérieur aux questions d’ordre personnel.
II) Le temps des revendications
Nous avons évoqué le fait que nous avions sous les yeux un nouveau monde en gestation. Une colonie se met en place et s’organise. Cette situation inédite est l’occasion pour les femmes de revendiquer de nouveaux droits et de contester l’autorité des hommes (intrigue). Cette aspiration à l’égalité s’exprime dès les premiers mots d’Arthénice, la noble : « ma compagne / même pouvoir / donnons-nous la main / donnons-nous la main / n’ayons qu’un même esprit toutes les deux ». Il y a là un désir de fraternité féminine, de cohésion des femmes face aux hommes (omniprésence du pronom personnel « nous »).
C’est Madame Sorbin qui va clairement présenter le projet des femmes : «Oui, il en faut un tout neuf ici, et l’heure est venue ; nous voici en place d’avoir justice, et de sortir de l’humilité ridicule qu’on nous a imposée depuis le commencement du monde : plutôt mourir que d’endurer plus longtemps nos affronts. »
III) Des femmes déterminées
Les deux femmes sont intraitables. Leur détermination est totale, comme l’indique l’usage massif du temps verbal du futur simple, temps du projet à venir : « Oh ! Pour cette fois-ci, Messieurs, nous compterons ensemble. / Nous, dans vingt mille ans, nous serons encore la nouvelle du jour. / Et quand même nous ne réussirions pas, nos petites-filles réussiront. / Je vous dis que les hommes n’en reviendront jamais. »
Entièrement portées par leurs revendications, les deux femmes excluent de leurs préoccupations tous les obstacles susceptibles de pouvoir les gêner dans leur quête, en particulier les hommes : « Qu’est-ce que c’est que Timagène, Madame Sorbin ? Je ne le connais plus depuis notre projet ; tenez ferme et ne songez qu’à m’imiter. » (Arthénice). « Qui ? Moi ! Et où est l’embarras ? Je n’ai qu’un mari, qu’est-ce que cela coûte à laisser ? Ce n’est pas là une affaire de coeur. » (Madame Sorbin)
Leur entreprise les dépasse et leur combat est historique : « Tenez, je me soucie aujourd’hui de la vie comme d’un fétu ; en un mot comme en cent, je me sacrifie, je l’entreprends. Madame Sorbin veut vivre dans l’histoire et non pas dans le monde. » (Madame Sorbin) / « Je vous garantis un nom immortel. » (Arthénice)
L’esprit de courage et de sacrifice les habite désormais : « Tenez, je me soucie aujourd’hui de la vie comme d’un fétu ; en un mot comme en cent, je me sacrifie, … » (Madame Sorbin)
En répondant à tous les critères de la scène d’exposition traditionnelle cette première scène permet au lecteur/spectateur de connaître les étonnantes (pour l’époque) revendications de personnages que rien ne semble pouvoir arrêté dans leur quête d’égalité et de fraternité.
Texte 2 Scène 13
Timagène, Hermocrate, l’autre homme, Persinet, Arthénice, Madame Sorbin, une femme avec un tambour, et Lina, tenant une affiche.
ARTHÉNICE
Messieurs, daignez répondre à notre question ; vous allez faire des règlements pour la République, n’y travaillerons-nous pas de concert ? A quoi nous destinez-vous là-dessus ?
HERMOCRATE
À rien, comme à l’ordinaire.
UN AUTRE HOMME
C’est-à-dire à vous marier quand vous serez filles, à obéir à vos maris quand vous serez femmes, et à veiller sur votre maison : on ne saurait vous ôter cela, c’est votre lot.
MADAME SORBIN
Est-ce là votre dernier mot ? Battez tambour ! Et à Lina. Et vous, allez afficher l’ordonnance à cet arbre. On bat le tambour et Lina affiche.
HERMOCRATE
Mais, qu’est-ce que c’est que cette mauvaise plaisanterie-là ? Parlez-leur donc, seigneur Timagène, sachez de quoi il est question.
TIMAGÈNE
Voulez-vous bien vous expliquer, Madame ?
MADAME SORBIN
Lisez l’affiche, l’explication y est.
ARTHÉNICE
Il n’y a guère qu’en France où on vend les Offices de Judicature. Elle vous apprendra que nous voulons nous mêler de tout, être associées à tout, exercer avec vous tous les emplois, ceux de finance, de judicature et d’épée.
HERMOCRATE
D’épée, Madame ?
ARTHÉNICE
Oui d’épée, Monsieur ; sachez que jusqu’ici nous n’avons été poltronnes que par éducation.
MADAME SORBIN
Mort de ma vie ! Qu’on nous donne des armes, nous serons plus méchantes que vous ; je veux que dans un mois, nous maniions le pistolet comme un éventail : je tirai ces jours passés sur un perroquet, moi qui vous parle.
ARTHÉNICE
Il n’y a que de l’habitude à tout.
MADAME SORBIN
De même qu’au Palais à tenir l’audience, à être Présidente, Conseillère, Intendante, Capitaine ou Avocate.
UN HOMME
Des femmes avocates ?
MADAME SORBIN
Tenez donc, c’est que nous n’avons pas la langue assez bien pendue, n’est-ce pas ?
ARTHÉNICE
Je pense qu’on ne nous disputera pas le don de la parole.
HERMOCRATE
Vous n’y songez pas, la gravité de la magistrature et la décence du barreau ne s’accorderaient jamais avec un bonnet carré sur une cornette…
ARTHÉNICE
Et qu’est-ce que c’est qu’un bonnet carré, Messieurs ? Qu’a-t-il de plus important qu’une autre coiffure ? D’ailleurs, il n’est pas de notre bail non plus que votre Code ; jusqu’ici c’est votre justice et non pas la nôtre ; justice qui va comme il plaît à nos beaux yeux, quand ils veulent s’en donner la peine, et si nous avons part à l’institution des lois, nous verrons ce que nous ferons de cette justice-là, aussi bien que du bonnet carré, qui pourrait bien devenir octogone si on nous fâche ; la veuve ni l’orphelin n’y perdront rien.
UN HOMME
Et ce ne sera pas la seule coiffure que nous tiendrons de vous…
MADAME SORBIN
Ah ! La belle point d’esprit ; mais finalement, il n’y a rien à rabattre, sinon lisez notre édit, votre congé est au bas de la page.
HERMOCRATE
Seigneur Timagène, donnez vos ordres, et délivrez-nous de ces criailleries.
TIMAGÈNE
Madame…
ARTHÉNICE
Monsieur, je n’ai plus qu’un mot à dire, profitez-en ; il n’y a point de nation qui ne se plaigne des défauts de son gouvernement ; d’où viennent-ils, ces défauts ? C’est que notre esprit manque à la terre dans l’institution de ses lois, c’est que vous ne faites rien de la moitié de l’esprit humain que nous avons, et que vous n’employez jamais que la vôtre, qui est la plus faible.
MADAME SORBIN
Voilà ce que c’est, faute d’étoffe l’habit est trop court.
ARTHÉNICE
C’est que le mariage qui se fait entre les hommes et nous devrait aussi se faire entre leurs pensées et les nôtres ; c’était l’intention des dieux, elle n’est pas remplie, et voilà la source de l’imperfection des lois ; l’univers en est la victime et nous le servons en vous résistant. J’ai dit ; il serait inutile de me répondre, prenez votre parti, nous vous donnons encore une heure, après quoi la séparation est sans retour, si vous ne vous rendez pas ; suivez-moi, Madame Sorbin, sortons.
MADAME SORBIN, en sortant
Notre part d’esprit salue la vôtre
QUESTIONS
1) Comment pourriez-vous qualifier l’attitude des hommes dans cette scène ? Justifiez votre réponse.
2) dans quelle mesure peut-on affirmer qu’Arthénice et Madame Sorbin sont des femmes de « tempérament » ?
3) Quelles sont les principales revendications des femmes ? Quels sont arguments qui les soutiennent?
LA 2 Scène 13
Cette scène est une scène de confrontation. Elle met face à face les représentantes des femmes, Arthénice et Madame Sorbin et certains des hommes de la colonie. Les deux partis vont s’affronter sur la question de la place des femmes dans la nouvelle société qui est entrain de se mettre en place sur l’île. Nous verrons, dans un premier temps, quelle est l’attitude des hommes durant cette joute verbale, pour nous intéresser ensuite aux revendications des femmes.
I) De l’intransigeance des hommes
a) Une attitude rétrograde
Dès la première intervention du personnage masculin désigné par l’expression « Un autre homme », nous nous rendons compte qu’il est en fait le porte-parole d’une « caste » masculine, de ses certitudes et de ses préjugés. En quelques mots le personnage résume parfaitement la situation des filles et des femmes selon les critères du XVIIIème siècle. Une vie de femme à l’époque se résume au mariage, à l’obéissance et aux taches domestiques, comme l’indique la réplique sur un rythme ternaire : «C’est-à-dire à vous marier quand vous serez filles, à obéir à vos maris quand vous serez femmes, et à veiller sur votre maison… ». Notons la présence de deux propositions déclinées sur le mode du futur simple (« … quand vous serez filles / … quand vous serez femme »), qui indique le sort inexorable. L’expression « c’est votre lot » ne laisse aucun doute sur le fait que, selon la mentalité de l’époque, la distribution des rôles dans la société et claire et la soumission des femmes totale. La réplique d’Hermocrate est à ce titre terrible, confinant la femme au néant : « A quoi nous destinez-vous là-dessus ? » (Arthénice) / « À rien, comme à l’ordinaire. » (Hermocrate)
L’ordinaire c’est la coutume, la tradition, l’usage pour lequel la femme ne vaut rien.
b) Une stupéfaction teintée de mépris
Une fois au courant du projet des femmes, les hommes vont être sidérés. Il suffit de souligner la brièveté de leurs répliques pour comprendre qu’ils sont sous le choc et ont peine à réagir. Ainsi Timagène ne comprend pas ce qui est entrain de se passer : « Voulez-vous bien vous expliquer, Madame ?». Hermocrate oscille entre la colère et l’ironie : « Mais, qu’est-ce que c’est que cette mauvaise plaisanterie-là ? / Seigneur Timagène, donnez vos ordres, et délivrez-nous de ces criailleries.». Sarcastique, il ironise sur la prétention des femmes à vouloir exercer des responsabilités dans la magistrature en les renvoyant à leur coquetterie quand il s’agit de coiffe : « Vous n’y songez pas, la gravité de la magistrature et la décence du barreau ne s’accorderaient jamais avec un bonnet carré sur une cornette…». Le même motif est repris par un autre personnage : « Et ce ne sera pas la seule coiffure que nous tiendrons de vous… » (Un homme) ;
Les hommes tentent de ridiculiser les femmes et leur projet qui, selon eux, n’a rien de sérieux. Nous allons maintenant nous intéresser à l’attitude des femmes qui, résolues, vont exposer leurs revendications de manière très efficace.
II) Des revendications clairement exprimées
a) Une attitude agressive
Dans cette scène les femmes vont littéralement se jeter sur les hommes et leur demander des comptes avec virulence comme l’indiquent les propositions interrogatives et exclamatives qui ponctuent leurs propos : «…vous allez faire des règlements pour la République, n’y travaillerons-nous pas de concert ? A quoi nous destinez-vous là-dessus ? » (Arthénice) / « Est-ce là votre dernier mot ? Battez tambour ! » (Madame Sorbin). Le ton est belliqueux et péremptoire. Elles aussi manient l’ironie quand il est question de l’usage de la parole : «Tenez donc, c’est que nous n’avons pas la langue assez bien pendue, n’est-ce pas ? » (Madame Sorbin) / « Je pense qu’on ne nous disputera pas le don de la parole. « (Arthénice). Elles n’hésitent pas à interpeller les hommes en les rudoyant : «Lisez l’affiche, l’explication y est. / … il n’y a rien à rabattre, sinon lisez notre édit, votre congé est au bas de la page. / Voilà ce que c’est, faute d’étoffe l’habit est trop court » (Madame Sorbin). Les femmes exigent et n’hésitent pas à user de l’ultimatum : « J’ai dit ; il serait inutile de me répondre, prenez votre parti, nous vous donnons encore une heure, après quoi la séparation est sans retour, si vous ne vous rendez pas ; suivez-moi, Madame Sorbin, sortons. » (Arthénice)
Les formules lapidaires de Madame Sorbin renvoient les hommes de la nouvelle société.
b) Des revendications soutenues par des arguments solides
C’est Arthénice, la noble, qui prend en charge le fait d’expliciter les desideratas des femmes. Elle expose d’abord les conditions que les femmes vont imposer aux hommes. Elle le fait sur le mode de la répétition et de l’énumération sur un rythme ternaire : «…Elle vous apprendra que nous voulons nous mêler de tout, être associées à tout, exercer avec vous tous les emplois, ceux de finance, de judicature et d’épée. » (Notons au passage une critique du système judiciaire français où des charges peuvent s’acheter : « Il n’y a guère qu’en France où on vend les Offices de Judicature». « De même qu’au Palais à tenir l’audience, à être Présidente, Conseillère, Intendante, Capitaine ou Avocate. » (Madame Sorbin). Vouloir être mêlées, associées, vouloir exercer « tout » ce qui est de la seule responsabilité des hommes, tel est leur programme. Il est d’abord question de l’exercice des armes (à voir), puis de celui de la justice évoqué par Madame Sorbin (à voir) et développé par Arthénice qui souligne que les femmes ont toujours été écartées des décisions de justice et qu’elles sont décidées à tout remanier dans ce domaine. Il est question ensuite du gouvernement de la nation dont les malheurs sont dûs au seul fait que les femmes ont toujours été exclues des responsabilités (c’est un argument qu’on retrouvera plus tard dans La Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne d’Olympe de Gouges). En se privant de la moitié de l’humanité les hommes ne peuvent conduire une nation efficacement : « Monsieur, je n’ai plus qu’un mot à dire, profitez-en ; il n’y a point de nation qui ne se plaigne des défauts de son gouvernement ; d’où viennent-ils, ces défauts ? C’est que notre esprit manque à la terre dans l’institution de ses lois, c’est que vous ne faites rien de la moitié de l’esprit humain que nous avons, et que vous n’employez jamais que la vôtre, qui est la plus faible.» C’est là la raison fondamentale des imperfections de la société.
Cette scène est intéressante dans le sens où elle permet aux femmes de développer une argumentation étayée de remarques judicieuses que l’on pourrait qualifier, sans craindre l’anachronisme, de révolutionnaires !
Texte 3 Scènes 17 et 18
SCÈNE XVII.
Hermocrate, Arthénice, Madame Sorbin.
HERMOCRATE, à Arthénice.
Vous l’emportez, Madame, vous triomphez d’une résistance qui nous priverait du bonheur de vivre avec vous, et qui n’aurait pas duré longtemps si toutes les femmes de la colonie ressemblaient à la noble Arthénice ; sa raison, sa politesse, ses grâces et sa naissance nous auraient déterminés bien vite ; mais à vous parler franchement, le caractère de Madame Sorbin, qui va partager avec vous le pouvoir de faire les lois, nous a d’abord arrêtés, non qu’on ne la croie femme de mérite à sa façon, mais la petitesse de sa condition, qui ne va pas ordinairement sans rusticité, disent-ils…
MADAME SORBIN.
Tredame ! Ce petit personnage avec sa petite condition…
HERMOCRATE.
Ce n’est pas moi qui parle, je vous dis ce qu’on a pensé ; on ajoute même qu’Arthénice, polie comme elle est, doit avoir bien de la peine à s’accommoder de vous.
ARTHÉNICE, à part, à Hermocrate.
Je ne vous conseille pas de la fâcher.
HERMOCRATE.
Quant à moi, qui ne vous accuse de rien, je m’en tiens à vous dire de la part de ces messieurs que vous aurez part à tous les emplois, et que j’ai ordre d’en dresser l’acte en votre présence ; mais, voyez avant que je commence, si vous avez encore quelque chose de particulier à demander.
ARTHÉNICE.
Je n’insisterai plus que sur un article.
MADAME SORBIN.
Et moi de même ; il y en a un qui me déplaît, et que je retranche, c’est la gentilhommerie, je la casse pour ôter les petites conditions, plus de cette baliverne-là.
ARTHÉNICE.
Comment donc, Madame Sorbin, vous supprimez les nobles ?
HERMOCRATE.
J’aime assez cette suppression.
ARTHÉNICE.
Vous, Hermocrate ?
HERMOCRATE.
Pardon, Madame, j’ai deux petites raisons pour cela, je suis bourgeois et philosophe.
MADAME SORBIN.
Vos deux raisons auront contentement ; je commande, en vertu de ma pleine puissance, que les nommées Arthénice et Sorbin soient tout un, et qu’il soit aussi beau de s’appeler Hermocrate ou Lanturlu, que Timagène ; qu’est-ce que c’est que des noms qui font des gloires ?
HERMOCRATE.
En vérité, elle raisonne comme Socrate ; rendez-vous, Madame, je vais écrire.
ARTHÉNICE.
Je n’y consentirai jamais ; je suis née avec un avantage que je garderai, s’il vous plaît, Madame l’artisane.
MADAME SORBIN.
Eh ! Allons donc, camarade, vous avez trop d’esprit pour être mijaurée.
ARTHÉNICE.
Allez vous justifier de la rusticité dont on vous accuse !
MADAME SORBIN.
Taisez-vous donc, il m’est avis que je vois un enfant qui pleure après son hochet.
HERMOCRATE.
Doucement, Mesdames, laissons cet article-ci en litige, nous y reviendrons.
MADAME SORBIN.
Dites le vôtre, Madame l’élue, la noble.
ARTHÉNICE.
Il est un peu plus sensé que le vôtre, la Sorbin ; il regarde l’amour et le mariage ; toute infidélité déshonore une femme ; je veux que l’homme soit traité de même.
MADAME SORBIN.
Non, cela ne vaut rien, et je l’empêche.
ARTHÉNICE.
Ce que je dis ne vaut rien ?
MADAME SORBIN.
Rien du tout, moins que rien.
HERMOCRATE.
Je ne serais pas de votre sentiment là-dessus, Madame Sorbin ; je trouve la chose équitable, tout homme que je suis.
MADAME SORBIN.
Je ne veux pas, moi ; l’homme n’est pas de notre force, je compatis à sa faiblesse, le monde lui a mis la bride sur le cou en fait de fidélité et je la lui laisse, il ne saurait aller autrement : pour ce qui est de nous autres femmes, de confusion nous n’en avons pas même assez, j’en ordonne encore une dose ; plus il y en aura, plus nous serons honorables, plus on connaîtra la grandeur de notre vertu.
ARTHÉNICE.
Cette extravagante !
MADAME SORBIN.
Dame, je parle en femme de petit état. Voyez-vous, nous autres petites femmes, nous ne changeons ni d’amant ni de mari, au lieu que des dames il n’en est pas de même, elles se moquent de l’ordre et font comme les hommes ; mais mon règlement les rangera.
HERMOCRATE.
Que lui répondez-vous, Madame, et que faut-il que j’écrive ?
ARTHÉNICE.
Eh ! Le moyen de rien statuer avec cette harengère ?
SCÈNE XVIII.
Les acteurs précédents, Timagène, Monsieur Sorbin, quelques hommes qui tiennent des armes.
TIMAGÈNE, à Arthénice.
Madame, on vient d’apercevoir une foule innombrable de sauvages qui descendent dans la plaine pour nous attaquer ; nous avons déjà assemblé les hommes ; hâtez-vous de votre côté d’assembler les femmes, et commandez-nous aujourd’hui avec Madame Sorbin, pour entrer en exercice des emplois militaires ; voilà des armes que nous vous apportons.
MADAME SORBIN.
Moi, je vous fais le colonel de l’affaire. Les hommes seront encore capitaines jusqu’à ce que nous sachions le métier.
MONSIEUR SORBIN.
Mais venez du moins batailler.
ARTHÉNICE.
La brutalité de cette femme-là me dégoûte de tout, et je renonce à un projet impraticable avec elle.
MADAME SORBIN.
Sa sotte gloire me raccommode avec vous autres. Viens, mon mari, je te pardonne ; va te battre, je vais à notre ménage.
TIMAGÈNE.
Je me réjouis de voir l’affaire terminée. Ne vous inquiétez point, Mesdames ; allez vous mettre à l’abri de la guerre, on aura soin de vos droits dans les usages qu’on va établir.
QUESTIONS
1) Pour quelles raisons Arthénice et Madame Sorbin se disputent-elles ?
2) Comment pourriez-vous qualifier l’attitude d’Hermocrate dans la scène 17 ?
LA 3 Scènes 17 et 18
Le dénouement de cette comédie est intéressant dans le sens où les deux scènes finales révèlent des conflits qui vont mettre un terme à l’expérience de la démocratie féminine. Nous verrons dans un premier temps quels sont les motifs du différend entre les deux héroïnes, puis nous nous intéresserons au personnage d’Hermocrate, qui sort vainqueur de l’intrigue.
I) Un antagonisme de conditions
Le conflit entre les deux femmes (qui a été initié par Hermocrate, nous y reviendrons), repose sur une opposition de statut social.
a) Madame Sorbin, la représentante du peuple
Elle est présentée par Hermocrate de façon dépréciative avec des expressions telles que : « femme de mérite à sa façon / petitesse de sa condition / rusticité». Il s’agit là des préjugés communs aux nobles de l’époque quand ils considéraient le Tiers-Etat. L’attitude de Madame Sorbin est celle d’une femme en colère (exclamation et juron « Tredame ! » / répétition de l’adjectif « petit » : « petit personnage avec sa petite condition»). Elle est présentée comme étant une femme au mauvais caractère (« … bien de la peine à s’accomoder de vous ») et difficile à vivre. Surtout, ce qui caractérise le personnage de Madame Sorbin c’est son esprit quasiment révolutionnaire. Elle réclame la fin des privilèges (qui ne sera effective que le 4 août 1789 !) : « Et moi de même ; il y en a un qui me déplaît, et que je retranche, c’est la gentilhommerie, je la casse pour ôter les petites conditions, plus de cette baliverne-là.» Elle insiste alors fortement sur l’égalité des insulaires, comme elle l’avait déjà fait au début de l’œuvre : « … que les nommées Arthénice et Sorbin soient tout un…». Elle appelle d’ailleurs Arthénice « camarade », avant de la renvoyer à son statut social : « la noble». Elle oppose son statut de « femme de petit état », fidèle et compréhensive, à celui des « dames » dont les mœurs sont légères et qui « se moquent de l’ordre et font comme les hommes ». Petit à petit le ton va monter et nous remarquons que les propos tenus par Madame Sorbin sont de plus en plus insultants et catégoriques : « Mijaurée / enfant qui pleure après son hochet / sotte gloire». Elle est intransigeante : « Taisez-vous donc / Non, … et je l’empêche / Rien du tout, moins que rien».
b) Arthénice : une femme qui tient à son rang
Pour la première fois dans l’œuvre, elle réagit vivement aux propos de Madame Sorbin : « Comment donc… vous supprimez les nobles ?» Stupéfaite, elle ne peut admettre la remise en cause de ses privilèges de caste : « Je n’y consentirai jamais ; je suis née avec un avantage que je garderai, s’il vous plaît, Madame l’artisane.» Pour la première fois encore, elle va afficher son mépris pour son ancienne camarade en la renvoyant à son statut social : « Madame l’artisane / … la rusticité dont on vous accuse ! / La Sorbin». A la fin des deux scènes elle ne peut plus masquer son mépris pour son adversaire et n’hésite plus à tenir des propos insultants : « Cette extravagante ! / cette harengère (démonstratifs de mise à distance) / La brutalité de cette femme-là me dégoûte de tout… ». Les deux femmes sont irréconciliables.
II) Hermocrate : un artiste de la manipulation
a) Une mise en scène étudiée
A la scène 16, c’est lui qui a l’idée de la fameuse attaque des sauvages supposés devoir attaquer le campement des colons. Cette menace sera brandie de nouveau à la scène 18 par Timagène qui, tout en donnant l’alerte, va mettre les femmes devant leurs responsabilités et les exhorter au combat : «Madame, on vient d’apercevoir une foule innombrable de sauvages… voilà des armes que nous vous apportons. » C’est à ce moment là que Madame Sorbin cède et que les hommes reprennent le dessus. Madame Sorbin : « Les hommes seront… le métier / Viens, mon mari… je vais à notre ménage.»La femme retrouve alors son rôle traditionnel qui la confine à la domesticité, et les propos de Timagène, pour la dernière réplique, sont très ironiques : « … on aura soin de vos droits dans les usages qu’on va établir.» Un retournement de situation du même type a lieu dans L’île des esclaves. Les préjugés touchant les femmes sont de retour, à savoir que face au danger, elles ont peur et demandent aux hommes de les protéger ! Hermocrate a parfaitement réussi son coup.
b) Un habile négociateur
Tout au long de la scène 17, Hermocrate va tenir le rôle de médiateur et de modérateur, penchant du côté des idées de Madame Sorbin ou de celles d’Arthénice. Il réussit à avoir le beau rôle et à alimenter le conflit entre les deux femmes. Il commence d’abord par flatter Arthénice en louant ses qualités de femme noble (voir l’énumération : « … la noble Arthénice, sa raison, sa politesse, ses grâces et sa naissance… » Il feint de se soumettre : « Vous l’emportez Madame / … vous triomphez d’une résistance / … vous avez part à tous les emplois.» Ce qui lui permettra ensuite de mieux la tromper… Il sait pertinemment qu’en flattant Arthénice il va éveiller l’animosité de Madame Sorbin et créer une tension entre les deux femmes. L’aparté d’Arthénice prouve que cela fonctionne : « Arthénice à part … de la fâcher». De plus, il fait en sorte d’indiquer qu’il ne juge pas personnellement l’attitude des femmes, mais insiste bien sur le fait qu’il n’est que le porte-parole des hommes : « Cen’est pas moi qui parle … / Quant à moi… demander». Enfin, pour ne pas trop énerver Madame Sorbin, il donne le change en montrant qu’il partage aussi certains de ses points de vue, par exemple quand il s’agit de la suppression de la noblesse : « J’aime assez… / Pardon… je suis bourgeois et philosophe » (donc du côté du Tiers-Etat et des idées des Lumières). Il n’hésite pas à louer les qualités intellectuelles de Madame Sorbin, alors qu’il avait peu de temps auparavant souligné sa « rusticité » : « … elle raisonne comme Socrate» (exagération). Il trouve son jugement équitable et va jusqu’à contredire Arthénice : « Je ne serai pas de votre sentiment là-dessus.»
La stratégie adoptée par Hermocrate est très subtile et va permettre aux hommes de retrouver leur pouvoir en misant sur la rivalité des femmes entre-elles. L’émancipation des femmes est encore bien lointaine.
Documents complémentaires
Document 1
Sophocle, Antigone, 442 avant J.C.
Le roi de Thèbes, Créon, a interdit sous peine de mort de donner une sépulture à Polynice, qui a combattu contre sa patrie. Antigone s’élève contre une telle décision qui empêcherait son frère d’accéder au royaume des morts et enterre son frère. Arrêtée, elle affronte son oncle, Créon.
Créon
Ainsi tu as osé passer outre à ma loi ?
Antigone
Oui, car ce n’est pas Zeus qui l’avait proclamée ! ce n’est pas la Justice, assise aux côtés des dieux infernaux ; non, ce ne sont pas là les lois qu’ils ont à jamais fixées aux hommes, et je ne pensais pas que tes défenses à toi fussent assez puissantes pour permettre à un mortel de passer outre à d’autres lois, aux lois non écrites, inébranlables, des dieux ! Elles ne datent, celles-là, ni d’aujourd’hui ni d’hier, et nul ne sait le joue où elles ont paru. Ces lois là, pouvais-je donc, par crainte de qui que ce fût, m’exposer à leur vengeance chez les dieux ? Que je dusse mourir, ne le savais-je pas ? et cela, quand bien même tu n’aurais rien défendu. Mais mourir avant l’heure, je le dis bien haut, pour moi, c’est tout profit : lorsqu’on vit comme moi, au milieu de malheurs sans nombre, comment ne pas trouver de profit à mourir ? Subir la mort, pour moi n’est pas une souffrance. C’en eût été une, au contraire, si j’avais toléré que le corps d’un fils de ma mère n’eût pas, après sa mort, obtenu un tombeau.. De cela, oui, j’eusse souffert ; de ceci je ne souffre pas. Je te parais sans doute agir comme une folle. Mais le fou pourrait bien être celui qui me traite de folle.
Le Coryphée (1)
Ah ! qu’elle est bien sa fille ! la fille intraitable d’un père intraitable. Elle n’a jamais appris à céder aux coups du sort.
Créon
Oui, mais sache bien, toi, que ces volontés si dures sont celles justement qui sont aussi les plus vite brisées. Il en est pour elles comme pour le fer, qui, longuement passé au feu, cuit et recuit, se fend et éclate encore plus aisément. Ne voit-on pas un simple bout de frein se rendre maître d’un cheval emporté ? Non, on n’a pas le droit de faire le fier, lorsque l’on est aux mains des autres. Cette fille a déjà montré son insolence en passant outre à des lois établies ; et, le crime une fois commis, c’est une insolence nouvelle que de s’en vanter et de ricaner. Désormais, ce n’est plus moi, mais c’est elle qui est l’homme, si elle doit s’assurer impunément un tel triomphe. Eh bien !non. Qu’elle soit née de ma sœur (2), qu’elle soit encore plus proche de moi que tous ceux qui peuvent ici se réclamer du Zeus de notre maison, il n’importe : ni elle ni sa sœur (3) n’échapperont à une mort infâme. [ …]
(1) Celui qui dirige le chœur. (2) Jocaste, mère et épouse d’Œdipe. (3) Ismène, fille de Jocaste et d’Œdipe, sœur d’Antigone.
QUESTIONS
1) Qu’oppose Antigone au pouvoir de son oncle ?
2) Dans quelle mesure peut-on dire qu’Antigone a une attitude rebelle ?
Document 2
Lysistrata, Aristophane. 411 A.J.C
Lysistrata expose son projet aux femmes d’Athènes ; celui de ne plus se donner à leurs maris tant qu’ils feront la guerre. Dans cet extrait elle tente de les convaincre puis décide de prononcer un serment …
LAMPITO. – Par les déesses, il est bien difficile pour des femmes de dormir toutes seules. Il faut pourtant s’y résoudre ; car la paix doit passer avant tout.
LYSISTRATA. – O la plus chérie des femmes, et la seule digne de ce nom !
MYRRHINE. – Si, ce qu’à Dieu ne plaise, nous nous abstenions rigoureusement de ce que tu dis, en aurions-nous plus tôt la paix ?
LYSISTRATA. – Beaucoup plus tôt, par les déesses! Si nous nous tenions chez nous, bien fardées, bien épilées, sans autre vêtement qu’une tunique fine et transparente, quelle impression feraient nos attraits ? Et si alors nous résistions aux instances des hommes, ils feraient bientôt la paix, j’en suis certaine.
LAMPITO. – En effet, Ménélas, quand il vit la gorge nue d’Hélène, jeta son épée.
MYRRHINE. – Et si nos maris nous laissent là, malheureuse ?
LYSISTRATA. – Alors, comme dit Phérécrate, tu écorcheras un chien écorché.
MYRRHINE. – Ces simulacres ne sont que de la viande creuse. Mais s’ils nous saisissent et nous entraînent de force dans leur chambre ?
LYSISTRATA. – Cramponne-toi à la porte.
MYRRHINE. – Et s’ils nous battent ?
LYSISTRATA. – Cède, mais de mauvaise grâce. Le plaisir s’évanouit quand la violence s’en mêle. Il faut les tourmenter par tous les moyens ; ils se lasseront bientôt ; car il n’y a jamais de véritable volupté pour l’homme, si la femme ne la partage.
MYRRHINE. – Si c’est là votre avis, c’est aussi le nôtre.
LAMPITO. – Pour nous, nous saurons bien décider nos maris à faire la paix franchement et sans détour. Mais la cohue athénienne, comment lui persuader de ne pas extravaguer ?
LYSISTRATA. – Sois sans inquiétude, nous saurons bien persuader les nôtres.
LAMPITO – N’y compte pas, tant que leurs trirèmes seront leur passion, et qu’on gardera des sommes immenses dans le temple de Minerve.
LYSISTRATA. – J’ai pourvu aussi à ce danger ; nous nous emparerons aujourd’hui de la citadelle. Tandis que nous sommes ici à nous concerter, les femmes les plus âgées ont ordre de s’en emparer, sous le prétexte d’un sacrifice à faire.
LAMPITO. – Tout ira bien, car ce que tu dis n’est pas moins bien.
LYSISTRATA. Pourquoi donc, Lampito, ne pas nous engager au plus tôt par un serment inviolable ?
LAMPITO. – Prononce le serment ; nous jurerons ensuite.
QUESTIONS
1) Pour quelles raisons peut-on affirmer que Lysistrata est la meneuse de la révolte des femmes ? Justifiez votre réponse.
2) Dans quelle mesure peut-on dire que son projet est révolutionnaire ?
Document 3
Olympe de Gouges « Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne », 1791.
Le texte que nous présentons à votre étude, Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne a été rédigé en 1791 par Olympe de Gouges sur le modèle de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen proclamée le 26 août 1789. Ce pastiche critique a été publié dans une brochure intitulée Les droits de la femme rédigée à l’intention de la reine Marie-Antoinette. Cette Déclaration était également destinée à l’Assemblée nationale à laquelle elle devait être présentée en Octobre 1791 en vue de son adoption. Ce texte fut refusé par la Convention. Il s’agit du premier document exigeant l’égalité parfaite entre les femmes et les hommes dans les domaines de la justice et des lois, à une époque où les femmes n’avaient aucun droit (droit de vote, liberté professionnelle, droit de propriété, accès aux institutions publiques …).
Avant propos
Homme, es-tu capable d’être juste ? C’est une femme qui t’en fait la question ; tu ne lui ôteras pas du moins ce droit. Dis-moi ? Qui t’a donné le souverain empire d’opprimer mon sexe ? Ta force ? Tes talents ? Observe le créateur dans sa sagesse ; parcours la nature dans toute sa grandeur, dont tu sembles vouloir te rapprocher, et donne-moi, si tu l’oses, l’exemple de cet empire tyrannique. Remonte aux animaux, consulte les éléments, étudie les végétaux, jette enfin un coup d’oeil sur toutes les modifications de la matière organisée ; et rends-toi à l’évidence quand je t’en offre les moyens ; cherche, fouille et distingue, si tu peux, les sexes dans l’administration de la nature. Partout tu les trouveras confondus, partout ils coopèrent avec un ensemble harmonieux à ce chef-d’oeuvre immortel. L’homme seul s’est fagoté un principe de cette exception. Bizarre, aveugle, boursouflé de sciences et dégénéré, dans ce siècle de lumières et de sagacité, dans l’ignorance la plus crasse, il veut commander en despote sur un sexe qui a reçu toutes les facultés intellectuelles ; il prétend jouir de la Révolution, et réclamer ses droits à l’égalité, pour ne rien dire de plus.
Préambule
Les mères, les filles, les soeurs, représentantes de la nation, demandent d’être constituées en assemblée nationale. Considérant que l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de la femme, sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements, ont résolu d’exposer dans une déclaration solennelle, les droits naturels inaliénables et sacrés de la femme, afin que cette déclaration, constamment présente à tous les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs devoirs, afin que les actes du pouvoir des femmes, et ceux du pouvoir des hommes pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés, afin que les réclamations des citoyennes, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la constitution, des bonnes moeurs, et au bonheur de tous. En conséquence, le sexe supérieur en beauté comme en courage, dans les souffrances maternelles, reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l’Etre suprême, les Droits suivants de la Femme et de la Citoyenne.
QUESTIONS
Avant propos
1) Pour quelles raisons Olympe de Gouges fait-elle référence à la nature ?
Préambule
1) Selon l’auteure, qu’est-ce qui est à l’origine des malheurs de la société ?
2) Que préconise-t-elle alors pour corriger cette société et la rendre meilleure ?
Etude de document iconographique
Willy-Ronis, Prise de parole aux usines Citröen. 1938
L’oeuvre qui s’intitule » La Colonie » de Marivaux est une pièce de théâtre représentée en 1781 et publiée dans le Mercure de décembre 1750 j’ai beaucoup appréciées cette oeuvre pour la libération des femmes.
La colonie de Marivaux est une pièces de théâtres qui m’a beaucoup marqué car elle explique ce qui se passe au sein même d’une association féminine .C’est une pièce très enrichissante si on est curieux .
J’ai pas vraiment aimé la fin, les femmes sont retournés à leur ménage.Et j’aurais préféré une touche de rébellion de la part d’Arthenice.
La colonie de Marivaux m’a beaucoup impressionnée car il y avait des techniques de manipulation modernes, c’est a dire « diviser pour mieux régner ». J’ai trouvé également intéressant l’amitié des deux femmes au début de l’oeuvre.
L’oeuvre la colonie a était pour moi une oeuvre captivante et avec plein de rebondissements.
Je trouve que les personnages était bien développés et que cette comédie est plaisante.
cette oeuvre est réaliste pour son temps , car Marivaux écrit cette oeuvre avant la révolution française et dénonce la mise a l’écart des femmes dans la société de l’époque .Elles revendiquent les même droits et liberté que les hommes . J’ai beaucoup aimé cette oeuvre .
J’ai aimé cette oeuvre, car elle montre l’inégalité de la femme et l’autoritarisme de l’homme sur la femme à cette époque.La fin de cette pièce montre bien encore une fois,que malgré que la femme se révolte ou veut faire des actions contre ces inégalités et revendiqué ses droits , elle n’y parviendra pas car l’homme est manipulateur et a le pouvoir , le contrôle sur tout.
J’ai aimé merci beaucoup 🥰
très bien réalisé merci.