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Paul Verlaine, Poèmes saturniens, analyses

 

Je ne sais pourquoi

Mon esprit amer

D’une aile inquiète et folle vole sur la mer.

Tout ce qui m’est cher,

D’une aile d’effroi

Mon amour le couve au ras des flots. Pourquoi, pourquoi ?

Paul Verlaine, Sagesse

 

 

Paul Verlaine. Portrait de Frédéric Bazille. 1866

 

I) Pourquoi Saturne ?

Dans la tradition astrologique, sont considérés comme planètes les astres suivants : le Soleil, Vénus, Mars, Jupiter, Mercure, la Lune et Saturne. Elles exerceraient une double influence sur nos existences : d’abord de par leur configuration au moment des naissances, puis de par leur retour périodique. Ainsi présideraient-elles à nos « destinées » individuelles, rythmeraient nos jours en périodes fastes ou néfastes. Parmi ces planètes il en est une qui a « mauvaise réputation ». Il s’agit de Saturne, l’astre des maladies, de l’humeur noire, voire de la mort. En se plaçant sous le signe de Saturne, Verlaine reprend ainsi une tradition très ancienne qui associe mélancolie et création artistique.

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II) Verlaine le Saturnien

Dès le premier poème du recueil, Les sages d’autrefois, Verlaine déclare faire partie de « ceux-là qui sont nés sous le signe SATURNE », ceux ayant « Bonne part de malheur et bonne part de bile », soumis à une « Influence maligne ». Lorsqu’en 1866 il signe son premier recueil de poésie, Verlaine est entrain de vivre une série de drames intimes qui assombrissent son existence. La mort de son père en 1865, celle de sa cousine aimée Elisa en 1867, l’amènent à boire énormément. Son alcoolisme, et sa dépendance en particulier à l’absinthe,  qui remonterait au début des années 1860, le rend parfois furieux. A ces accès de folie succèdent des périodes d’abattement durant lesquelles il cherche le réconfort dans la religion. Il est ainsi tiraillé entre ce que Baudelaire appelait les postulations simultanées : l’une vers Dieu, l’autre vers Satan. Inquiet et mélancolique, Paul Verlaine évoque dans ses Poèmes saturniens les angoisses qui le taraudent, l’anxiété à laquelle il ne peut échapper, ses inquiétudes diffuses.

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Verlaine au café. Photographie

III) Paysages saturniens

La ville nocturne, mystérieuse et fantastique, est un espace qu’apprécie particulièrement le poète.
Et la nuit terne arrive et Vénus se balance

Sur une molle nue au fond des cieux obscurs ;

On allume les becs de gaz le long des murs,

Et l’astre et les flambeaux font des zigzags fantasques

Dans le fleuve plus noir que le velours des masques ;

Et le contemplateur sur le haut garde-fou

Par l’air et par les ans rouillé comme un vieux sou

Se penche, en proie aux vents néfastes de l’abîme.

Nocturne parisien

 

Les jardins et les parcs, lieux de passage et de souvenirs, témoins vivants de moments à jamais disparus.

 

Ayant poussé la porte étroite qui chancelle,

Je me suis promené dans le petit jardin

Qu’éclairait doucement le soleil du matin,

Pailletant chaque fleur d’une humide étincelle

 

Rien n’a changé… J’ai tout revu : l’humble tonnelle

De vigne folle avec les chaises de rotin…

Le jet d’eau fait toujours son murmure argentin

Et le vieux tremble sa plainte sempiternelle.

Après trois ans

 

Les temps de prédilection : l’automne et la nuit. Saison des brumes et des teintes atones, des vents glacés et des lumières mourantes, l’automne est la saison préférée du poète.

 

Souvenir, souvenir, que me veux-tu ? L’automne

Faisait voler la grive à travers l’air atone,

Et le soleil dardait un rayon monotone

Sur le bois jaunissant où la bise détone.

Nevermore (Jamais plus)

 

Les heures crépusculaires, qui permettent les fusions entre les lueurs, et les périodes nocturnes, durant lesquelles la lune travaille les ténèbres, sont privilégiées.

 

Comme des soleils

Couchants, sur les grèves,

Fantômes vermeils,

Défilent sans trêves,

Défilent, pareils

A de grands soleils

Couchants, sur les grèves.

Soleils couchants

Odilon Redon, Nuages en fleurs. 1903.

 

 

Les chats-huants s’éveillent, et sans bruit

Rament l’air noir avec leurs ailes lourdes,

Et le zénith s’emplit de lueurs sourdes.

Blanche, Vénus émerge, et c’est la nuit.

L’heure du berger

 

Des atmosphères fantasmagoriques et macabres

 

J’ai vu passer dans mon rêve

Tel l’ouragan sur la grève,

D’une main tenant un glaive

Et de l’autre un sablier,

Ce cavalier

Cauchemar

 

III) Les sentiments saturniens

La fuite du temps source de mélancolie

 

Tout suffocant

Et blême, quand

Sonne l’heure,

Je me souviens

Des jours anciens

Et je pleure

Chanson d’automne

 

Le Spleen et l’angoisse

 

Je ne crois pas en Dieu, j’abjure et je renie

Toute pensée, et quant à la vieille ironie,

L’Amour, je voudrais bien qu’on ne m’en parlât

plus.

Lasse de vivre, ayant peur de mourir, pareille

Au brick perdu jouet du flux et du reflux,

Mon âme pour d’affreux naufrages appareille.

L’Angoisse

 

Le goût pour l’incertitude et l’indistinction

 

Surtout les soirs d’été : la rougeur du couchant

Se fond dans le gris bleu des brumes qu’elle teinte

D’incendie et de sang ; et l’angélus qui tinte

Au lointain semble un cri plaintif se rapprochant.

Dans les bois

 

IV) L’évocation de la femme

Une figure protectrice

 

Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant

D’une femme inconnue, et que j’aime, et qui m’aime,

Et qui n’est, chaque fois, ni tout à fait la même

Ni tout à fait une autre, et m’aime et me comprend.

Mon rêve familier

 

Une puissance sensuelle

 

Ah ! les oaristys (1) les premières maîtresses !

L’or des cheveux, l’azur des yeux, la fleur des chairs,

Et puis, parmi l’odeur des corps jeunes et chers,

La spontanéité craintive des caresses !

Vœu

(1)   Prêtresses gauloises

 

V) Parnasse et Symbolime

Le Parnasse est une école poétique du 19ème siècle qui prônait la théorie de « l’Art pour l’Art ». Pour les parnassiens la perfection poétique est à chercher dans un respect total de la forme et l’inspiration du poète doit se consacrer exclusivement à célébrer rigoureusement les splendeurs de l’Histoire (architecture, antiquité, scènes de batailles). Le poète parnassien ne se prend pas pour objet de sa poésie, jamais il ne fait part de ses désarrois, de ses doutes, de ses malheurs. En 1866 Verlaine subit l’influence du Parnasse dans le sens où il privilégie la perfection de travail, l’effort technique qui à ses yeux est à la base de toute œuvre digne de ce nom.

Ce qu’il nous faut à nous, c’est l’étude sans trêve,

C’est l’effort inouï, le combat nonpareil,

C’est la nuit, l’âpre nuit du travail, d’où se lève

Lentement, lentement ! l’Oeuvre, ainsi qu’un soleil !

Epilogue

 

Or force est de constater que si Verlaine se montre très attentif à la tenue de ses poèmes, sa poésie n’est ni froide, ni impersonnelle. Au contraire il s’implique totalement dans son œuvre où s’expriment de manière subtile ses états  d’âme. Sa poésie est lyrique et il parvient, par touches, à nous faire partager un univers particulier et symbolique.

Le Symbolisme est un mouvement poétique de la fin du 19ème siècle qui cherche  à traduire les sentiments humains en termes d’impressions, de sensations, utilisant des images, des rythmes, des symboles susceptibles de nous faire « sentir » ce que ressent le poète. La tentation sera par exemple symbolisée par l’orage, la pureté par le bleu d’un ciel. Pour les symbolistes il n’y a pas qu’une seule réalité du monde, mais un ensemble de signes que l’on peut déchiffrer grâce à des images spécifiques. Ainsi Verlaine a-t-il pris un soin maniaque à travailler la musicalité de ses vers. C’est elle qui peut le mieux suggérer ce monde d’au-delà les apparences par un travail sur le vers, les sonorités (assonances, allitérations, rimes), la syntaxe (le vers est plus chanté que lu). On peut ainsi parler de musique verlainienne, qui repose entre autre sur l’utilisation du vers impair qui impulse un mouvement particulier au texte, léger et subtil.

 

       

Poème 1 – Mon rêve familier

 

Mon rêve familier

Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant

D’une femme inconnue, et que j’aime, et qui m’aime

Et qui n’est, chaque fois, ni tout à fait la même

Ni tout à fait une autre, et m’aime et me comprend.

 

Car elle me comprend, et mon coeur, transparent

Pour elle seule, hélas ! cesse d’être un problème

Pour elle seule, et les moiteurs de mon front blême,

Elle seule les sait rafraîchir, en pleurant.

 

Est-elle brune, blonde ou rousse ? – Je l’ignore.

Son nom ? Je me souviens qu’il est doux et sonore

Comme ceux des aimés que la Vie exila.

 

Son regard est pareil au regard des statues,

Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a

L’inflexion des voix chères qui se sont tues.

 

 

Albert Dürer. Melancholia. 1514

Eléments d’analyse

 

Ce poème fait partie de la section intitulée Melancholia, qui est le titre d’une eau-forte d’Albert Dürer ornant la chambre de Verlaine. On y voit un ange qui semble songer aux taches qu’il lui reste à accomplir. Songeur, le poète l’est aussi ici, sauf qu’il s’agit d’un rêve débarrassé  de toute angoisse dans le sens où il est « familier ». La femme ici ne tourmente pas, elle réconforte. Nous verrons dans un premier temps comment s’organise ce sonnet en nous intéressant en particulier à sa structure et son écriture évoquant l’indécision. Puis nous nous intéresserons à l’image de la  femme dont la présence est paradoxale.

 

I)                   Un sonnet particulier

 

a)      La structure du poème

 

Le premier quatrain insiste sur le fait que l’image de la femme aimée est à la fois incertaine et idéale. Nous avons affaire, dès le premier vers à un poème lyrique, avec la présence d’un « je » qui entretient une relation exclusive avec cette « femme inconnue ».

La deuxième strophe nous offre l’image réconfortante d’une femme aimante et compréhensive, à la fois amante, mère et sœur.

Les deux tercets, quant à eux, mettent l’accent sur l’aspect insaisissable et mystérieux de celle qui, paradoxalement, s’impose par les traces de son absence.

 

b)      L’écriture de l’indécision

 

Tout le poème est marqué par l’allusion et l’imprécision qui font de l’être évoqué une énigme. L’énumération des vers 2/3/4 de la première strophe aboutit à un portrait par touches (qui n’est…, ni…, ni…). Les deux propositions interrogatives du premier tercet et l’usage du verbe « ignorer » relaient cette impression de flou. D’ailleurs nous pouvons noter la présence d’un lexique fondé sur l’indétermination (étrange, moiteurs, ignore, lointaine). Pourtant, si l’accent est mis sur le caractère évanescent de l’apparition féminine, il n’en demeure pas moins que cette figure féminine est obsessionnelle. A ce titre nous pouvons relever la présence d’une ligne mélodique reposant sur des assonances en [a] et [an] omniprésentes (étrange, pénétrant, comprend…).

 

II)                L’évocation de la femme

 

a)      Une figure fantasmée

La femme dont il est question dans le poème est extraordinaire à bien des égards. D’abord parce qu’elle incarne la compagne d’élection, porteuse d’un amour réconfortant auquel répond le poète. Notons la répétition de la conjonction de coordination « et » (X5) dans le premier quatrain, répétition qui met en exergue la qualité de la relation qui unit les deux amoureux (verbe « aimer » utilisé trois fois). L’émotion est perceptible par le biais de l’étude du rythme des alexandrins,  un rythme heurté au vers 2 (6/3/3) et au vers 3 (3/3/6)Il s’agit là d’un amour réciproque, profond et exclusif (anaphore de « Pour elle seule » dans la deuxième strophe et trois occurrences de l’adjectif « seule »). Nous avons affaire à un être d’exception, une présence protectrice à la fois maternelle et complice, apaisante et consolatrice (me comprend, mon cœur…cesse d’être un problème, elle seule les sait rafraîchir,…). Sa présence bienfaitrice  est capable de guérir un homme qui souffre (voir les termes exprimant le mal être associés au poète).

 

b)      Une présence paradoxale

Si le poète insiste bien sur le caractère obsessionnel de l’apparition (Je fais souvent ce rêve, Je me souviens), il faut aussi souligner le fait que cette présence est irrémédiablement associée à une mise à distance, voire même à une absence de l’être aimé. Cette femme semble en effet inaccessible. L’impuissance du poète est flagrante : insaisissable la « femme inconnue » n’est « ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre ».  La proposition interrogative du septième vers, fondée sur une énumération est éloquente, et le laconisme de la réponse est sans appel : « Je l’ignore ». L’allitération en [S] des deux derniers vers du premier tercet illustre  le glissement du souvenir presque effacé : « Son nom ? Je me souviens qu’il est doux et sonore/ Comme ceux des aimés que la Vie exila. » A noter le même motif au dernier vers. Ce sentiment de perte est également perceptible dans la dernière strophe (comparaison créant un effet de déshumanisation au vers 12). Le vers suivant est haché (1/3/3/2/2/1) comme autant de points de suspension qu’on met pour exprimer une lacune. Il y a là comme une évanescence qui prend littéralement fin avec le verbe « taire » qui vient clore le poème.

 

Fondé sur l’allusion et l’imprécision, ce sonnet offre au poète la possibilité d’évoquer une douleur susceptible d’être calmée à défaut d’être guérie.

 

 

 

Poème 2 – Après trois ans

 

Après trois ans

Ayant poussé la porte étroite qui chancelle,

Je me suis promené dans le petit jardin

Qu’éclairait doucement le soleil du matin,

Pailletant chaque fleur d’une humide étincelle.

 

Rien n’a changé… J’ai tout revu : l’humble tonnelle

De vigne folle avec les chaises de rotin…

Le jet d’eau fait toujours son murmure argentin

Et le vieux tremble sa plainte sempiternelle.

 

Les roses comme avant palpitent ; comme avant,

Les grands lys orgueilleux se balancent au vent,

Chaque alouette qui va et vient m’est connue.

 

Même j’ai retrouvé debout la Velléda,

Dont le plâtre s’écaille au bout de l’avenue,

_ Grêle, parmi l’odeur fade du réséda.

 

F.A Cazals. Sanguine pour illustrer le poème Chanson d'automne.Poèmes saturniens

Eléments d’analyse

 

Ce poème fait partie de la section Melancholia du recueil et adressé, même si toute référence y est absente, à Elisa Dujardin, la cousine de l’auteur. Comme son titre l’indique Après trois ans est le poème de la nostalgie. Nous nous intéresserons dans un premier temps à la composition de ce sonnet pour ensuite voir de quelle manière le poète nous fait part de son état d’âme.

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I)                   La structure du poème

 

a)      Le parcours d’une promenade

On peut distinguer trois étapes dans ce poème, qui sont autant de stations marquant les déplacements de l’auteur. La première strophe est littéralement une entrée au sens où le poète pénètre dans le jardin : « Ayant passé…/ Je me suis… ». Le deuxième quatrain et le premier tercet constituent eux le cœur du cheminement, une pause descriptive au présent de narration qui permet d’évoquer les éléments du décor. A noter la rupture de l’alexandrin au vers 5 (points de suspension et les deux points). Le regard se pose et le ralentissement s’impose, souligné par un enjambement (l’humble tonnelle/de vigne folle).  Le dernier tercet quant à lui clôt la ballade « au bout de l’avenue ». Ainsi le lecteur accompagne-t-il le poète tout au long de ses déambulations.

b)      Un poème à dimension autobiographique

La narration à la première personne se fait sur le mode de la focalisation interne. Cela permet de créer un rapport de complicité avec le lecteur qui accompagne le poète dans sa redécouverte de lieux familiers. Des propositions au passé composé (rien n’a changé, j’ai tout revu, même j’ai retrouvé) et l’utilisation massive du présent de narration aux strophes 2 et 3 renforcent cette impression de proximité. Rien ici de grandiose ni de majestueux. L’atmosphère est reposante, voire conviviale : « porte étroite, petit jardin, doucement, humble tonnelle). Quelque chose d’heureux accompagne le poète, à l’image de ces assonances en [é] qui éclairent la première strophe.

En relatant une expérience personnelle, le poème invite le lecteur à suivre son auteur dans une démarche rétrospective particulière.

 

II)                Un moment privilégié source de nostalgie

 

a)      La nature inaltérée

Le titre, nous l’avons vu, situe immédiatement le texte dans une dimension temporelle. Cela instaure d’emblée un rapport au temps marqué par le recul et la suspension. Ici le jardin est le lieu de la pérennité : « Rien n’a changé ». La répétition de l’expression « comme avant » est à ce titre explicite. La nature n’a pas été altérée par la fuite du temps.  Le monde végétal (fleur, tonnelle, vierge folle, tremble, roses, lys), le monde minéral (humide étincelle, le jet d’eau, murmure argentin), le monde animal (chaque alouette), à l’unisson, vivent et perpétuent la vie. A noter la présence de verbes d’action associés à ces éléments qui permettent d’amplifier cette impression de vigueur naturelle. Le soleil « paillette », le jet d’eau « murmure », le vieux tremble « se plaint », les roses « palpitent », « les grands lys orgueilleux se balancent » (personnifications), chaque alouette « va et vient ».

b)      Fragilité des choses humaines

A contrario, ce qui a trait aux œuvres humaines est fragile et fugace. Ainsi la porte étroite « chancelle », des points de suspension suivent « les chaises de rotin » abandonnées, le plâtre de la statue « s’écaille » et la Velléda (prophétesse germanique du début du premier siècle A.JC) est « grêle ». Le second tercet est marqué par la décrépitude et le dernier vers, inauguré par un tiret qui le distingue, clôt le poème sur une impression de perte, d’évanescence : « l’odeur fade du réséda ». Il y a là quelque chose de suranné. Cette impression de fragilité est d’ailleurs entretenue par un lexique qui parcourt tout le poème, une série de termes d’atténuation qui instaurent une atmosphère fébrile : « étroite, petit, humide, humble, murmure ».

 

Empreint de nostalgie délicate ce poème est remarquable par la façon dont est évoqué le sentiment de perte. Après trois ans est l’expression d’un besoin : celui de revenir sur les lieux des endroits où nous avons été heureux.

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Poème 3 – Le Rossignol

 

Le Rossignol

 

Comme un vol criard d’oiseaux en émoi,

Tous mes souvenirs s’abattent sur moi,

S’abattent parmi le feuillage jaune

De mon cœur mirant son tronc plié d’aune

Au tain violet de l’eau des Regrets,

Qui mélancoliquement coule auprès,

S’abattent, et puis la rumeur mauvaise

Qu’une brise moite en montant apaise,

S’éteint par degrés dans l’arbre, si bien

Qu’au bout d’un instant on n’entend plus rien,

Plus rien que la voix célébrant l’Absente,

Plus rien que la voix _ ô si languissante ! _

De l’oiseau qui fut mon Premier Amour,

Et qui chante encor comme au premier jour ;

Et, dans la splendeur triste d’une lune

Se levant blafarde et solennelle, une

Nuit mélancolique et lourde d’été,

Pleine de silence et d’obscurité,

Berce sur l’azur qu’un vent doux effleure

L’arbre qui frissonne et l’oiseau qui pleure.

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Odilon Redon. L'araignée qui pleure. 1881

 

 Eléments d’analyse

Ce poème fait partie de la section Paysages tristes du recueil poétique.  Il développe sur le mode lyrique le thème de la mélancolie associée à l’évocation du souvenir de la femme aimée, un amour disparu dont la persistance est source à la fois de plaisir et de peine. Nous verrons dans un premier temps comment se compose ce poème pour ensuite étudier les images suggérant les états d’âme d’un homme qui souffre.

 

I)                   Un poème structuré

 

a)      Un lyrisme rigoureusement organisé

Intéressons-nous d’emblée au titre. Oiseau réputé pour son chant crépusculaire Le Rossignol confond son chant à celui du poète mélancolique, dans une mélodie de la souffrance et du regret. D’un lyrisme qui tend à l’élégie ce poème d’une seule phrase peut être divisé en plusieurs étapes.

Des vers 1 à 7 : l’évocation des souffrances associées aux souvenirs, souvenirs qui contraignent le poète à revenir sur son douloureux passé : « Tous mes souvenirs s’abattent sur moi ».

Des vers 8 à 10 : le répit momentané, l’apaisement fébrile.

Des vers 11 à 14 : l’évocation du souvenir de la femme aimée, « l’Absente » à jamais disparue.

Des vers 15 à 20 : le retour de la mélancolie, associée au crépuscule et à la nuit.

Comme le long chant modulé de l’oiseau, la phrase du poème passe par des variations thématiques qui confinent aux lignes mélodiques d’une chanson triste. Les tonalités se succèdent au rythme de la sensibilité du poète.

b)      Les différentes mélodies

Le poème s’ouvre sur l’expression d’une souffrance, d’un mal être illustré par les termes suivants : « criards, émoi, rumeur mauvaise ». Les souvenirs comparés aux oiseaux sont porteurs de douleurs et la répétition du verbe « s’abattre » (X3) souligne le harcèlement auquel est soumis le poète. A partir du vers 8 le tumulte fait place à l’apaisement. Les verbes d’atténuation : « apaise, s’éteint par degrés, on n’entend plus rien » imposent le silence, un silence d’autant plus marqué qu’il est souligné par la répétition (3X) et la reprise anaphorique de « plus rien ». Comme un decrescendo dans un mouvement musical, ce « temps » du poème va alors permettre le solo vocal et mettre en valeur « la voix célébrant l’absente », exclusive (anaphore de « Plus rien que la voix »). Notons que l’utilisation du décasyllabe permet de développer la plainte sur un rythme régulier et implacable. A partir du vers 15 le chant est nettement élégiaque et un chant douloureux et harmonieux s’impose alors où se développe la fusion des sentiments et du paysage (splendeur triste/lune, nuit/mélancolique, l’arbre/frissonne).

 

II)                L’expression de sentiments douloureux

 

a)      Des images qui donnent corps au mal de vivre

Nous avons vu que deux réseaux d’images s’associaient dès le début du poème : les oiseaux d’abord qui incarnent les souvenirs entêtants dont le lancinement fustige littéralement le poète, et la métaphore du rossignol, « l’oiseau qui fut mon Premier Amour ». Notons la présence des majuscules qui célèbrent la femme aimée, « l’Absente » évoquée au cœur du poème (vers 11). Une autre métaphore, végétale cette fois, associe l’image du poète à l’aune, cet arbre du bord de l’eau. Au vers 4, en « mirant son tronc plié d’aune/ Au tain violet de l’eau des Regrets », le poète se penche sur son passé, ployant de chagrin. Il s’agit là d’une métaphore filée, à dominante végétale, qui met l’accent sur la fusion entre les êtres, le paysage et les sentiments (feuillage jaune de mon cœur/tronc plié d’aune/ dans l’arbre). Le paysage final, quant à lui, est marqué par le lexique de la nuit lunaire (une lune, une nuit, obscurité, l’azur) associé à celui de la morosité (l’oxymore « splendeur triste », blafarde, solennelle). Cette « nuit mélancolique » (vers 17) illustre bien l’état d’âme d’un homme qui souffre.

 

b)      L’évocation de la souffrance

Tout le poème est parcouru par un lexique qui a trait à la douleur et au chagrin. A ce titre le dernier vers est explicite. Par endroits cette douleur se fait plus vive, comme au vers 5 où la diérèse à l’adjectif « violet » (3 syllabes) « éreinte » le décasyllabe. Aux sens propre et figuré, le poète est en « pleine réflexion ». Même ce qui pourrait soulager semble désagréable. Ainsi la brise est-elle « moite » (vers 8), et la voix elle-même se fait « languissante » (vers 12). A noter l’utilisation des tirets, du point d’exclamation, du « ô » élégiaque et de l’adverbe d’intensité « si » qui mettent en lumière le désarroi du poète. L’utilisation du passé simple (De l’oiseau qui fut mon premier amour) indique une rupture irrémédiable.

 

Le Rossignol a le chant triste. Sentimental et douloureux il entretient le souvenir de l’être aimé pour mieux faire sentir son absence. C’est la mélancolie.

 

 

 Portrait de Verlaine par un homme de lettres contemporain du poète : Laurent Tailhade

« Le front dévasté par le génie ou la douleur, plus vieux que son âge, mais la face éclairée par un sourire d’enfant et le clignotement spirituel de ses yeux obliques, Verlaine rappelle à première vue le visage traditionnel de Socrate, avec je ne sais quoi  de  magnifique  et  de  robuste qui s’impose aux regards fascinés. C’est, sans doute, son beau crâne pareil à la coupole d’un temple, son crâne d’où tant de hautes pensées, de rythmes imprévus s’envolèrent vers le ciel. Dans le buste excellent qu’il en a fait, le sculpteur Auguste de Niederhausern sut dégager merveilleusement le caractère pour ainsi dire sacré de ce visage marqué du signe de la Muse. Son Verlaine rappelle ce satyre de la Légende des Siècles dont les « cils roux laissent passer de la lumière », et qui chante, sur la lyre d’Apollon, « avec des profondeurs splendides dans les yeux. ».

Dessin de Gustave Bonnet. Portrait de Paul Verlaine

 

 

Je suis venu te dire que je m’en vais, Serge Gainsbourg

 

Je suis venu te dir´que je m´en vais
et tes larmes n´y pourront rien changer
comm´dit si bien Verlaine « au vent mauvais »
je suis venu te dir´que je m´en vais
tu t´souviens des jours anciens et tu pleures
tu suffoques, tu blémis à présent qu´a sonné l´heure
des adieux à jamais
oui je suis au regret
d´te dir´que je m´en vais
oui je t´aimais, oui, mais- je suis venu te dir´que je m´en vais
tes sanglots longs n´y pourront rien changer
comm´dit si bien Verlaine « au vent mauvais »
je suis venu d´te dir´que je m´en vais
tu t´souviens des jours heureux et tu pleures
tu sanglotes, tu gémis à présent qu´a sonné l´heure
des adieux à jamais
oui je suis au regret
d´te dir´que je m´en vais
car tu m´en as trop fait- je suis venu te dir´que je m´en vais
et tes larmes n´y pourront rien changer
comm´dit si bien Verlaine « au vent mauvais »
tu t´souviens des jours anciens et tu pleures
tu suffoques, tu blémis à présent qu´a sonné l´heure
des adieux à jamais
oui je suis au regret
d´te dir´que je m´en vais
oui je t´aimais, oui, mais- je suis venu te dir´que je m´en vais
tes sanglots longs n´y pourront rien changer
comm´dit si bien Verlaine « au vent mauvais »
je suis venu d´te dir´que je m´en vais
tu t´souviens des jours heureux et tu pleures
tu sanglotes, tu gémis à présent qu´a sonné l´heure
des adieux à jamais
oui je suis au regret
d´te dir´que je m´en vais
car tu m´en as trop fait

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7 réponses
  1. avatar
    TRoubal dit :

    Pouvez-vous analysez tous les poèmes Saturniens en trois sections (femme, paysages, poète ) merci d’avance

  2. avatar
    hehuehu dit :

    Pouvez-vous analysez tous les poèmes Saturniens en trois sections (femme, paysages, poète ) merci d’avance

  3. avatar
    Neil-Breton BISHOP dit :

    Bravo pour votre site que je trouve excellent ! Le contenu est diversifié, captivant et bien développé. La belle présentation visuelle est presque dumême niveau de qualité — mais elle gagnerait en lisibilité si vous employiez des caractères nettement plus grands. Comme toujours, une amélioration au niveau de la « forme » profiterait au « fond » aussi, si je puis user d’un vocabulaire que certains croyait (naguère, et bien à tort) désuet.

    Bonne continuation !

    Neil-Breton BISHOP
    Professeur (retraité) de langue et de littérature françaises et québécoises
    Memorial University of Newfoundland

  4. avatar
    lilia dit :

    ce site est très intéressent mais un peut trop long a mon gout parce que si des enfant veut lire se ci il faudrait raccourcir par exemple pour moi qui suit un enfant de 11 ans et demie j’ai pris du temp pour le lire si vous vouler faire un truc bien faite plus cour, retirer des chose et remplacer les par les chose les plus intéressent

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